Les affiches qui clamaient la volonté d'indépendance ont disparu des murs, enlevées par ceux-là mêmes qui les avaient collées. La presse des Cinq trouve cependant que la normalisation progresse trop lentement.

Le 16 septembre, l'Assemblée nationale refuse de reconnaître la légitimité de l'occupation et approuve la conduite des dirigeants lors de leur séjour forcé à Moscou. Mais elle adopte aussi le projet de contrôle préalable des informations, dont la suppression avait été une conquête essentielle de janvier. Quelques jours plus tard, Pelikan et Hejzlar, directeurs de la radio et de la télévision, sont relevés de leurs fonctions.

La presse soviétique rapporte de plus en plus fréquemment les propos « réalistes » de Husak.

Le Kremlin a délégué à Prague un de ses plus brillants diplomates, Vassily Kouznetsov, vice-ministre des Affaires étrangères. À la différence de l'ambassadeur Tchervonenko — d'ailleurs, toujours en place —, il rencontre beaucoup de gens, et pas seulement des inconditionnels. C'est lui, dit-on, qui préconise le départ des troupes soviétiques du centre de Prague dans la nuit du 12 au 13 septembre.

Il prépare l'accord sur le stationnement « provisoire » des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie (elles quitteront les grandes agglomérations pour stationner dans des cantonnements fixes). Le projet est discuté à Moscou, le 3 octobre 1968, par Dubcek et Cernik. Alexis Kossyguine vient le signer à Prague le 16 octobre. Quatre députés (sur un peu plus de 250), dont Frantisek Kriegel, refusent d'approuver le texte. Devant le palais de l'Assemblée nationale, des jeunes, des étudiants surtout, se solidarisent avec les quatre réfractaires aux cris répétés de « Hambal » (« Honte ! »).

Abandon de la réforme économique

L'évolution tragique des événements ne peut faire oublier la gravité de la situation économique, dont le caractère alarmant est bien antérieur à l'invasion. Cette situation, d'ailleurs, avait joué un rôle non négligeable dans la prise de conscience qui aboutit au renversement de Novotny et à son remplacement par Dubcek.

Dès la fin août, les appels en faveur d'une reprise de l'activité normale dans les entreprises et les administrations se succèdent sans arrêt. Il est difficile de faire plus. En fait, on oublie qu'une réforme économique fondamentale est en chantier.

Celui qui a personnifié cette volonté de réforme et de rationalisation, Ota Sik, est, à l'époque, à l'étranger, la cible préférée de la rancune des journalistes soviétiques. Écarté des responsabilités, il formule dans des ouvrages théoriques les principes qu'il aurait voulu appliquer à Prague. La transformation des relations économiques avec les autres pays socialistes et avec l'Occident y tenait une grande place, mais tout cela n'est plus à l'ordre du jour.

Oldrich Cernik a, sans doute, obtenu quelques concessions, lorsqu'il a signé au mois de septembre 1968 à Moscou un accord sur la fourniture de gaz naturel par l'URSS. Faible compensation qui laisse intact le problème de la modernisation de l'industrie tchécoslovaque et, donc, celui de sa compétitivité sur le marché national.

L'autre volet de la réforme économique, la création de conseils ouvriers, compensant au sein de l'entreprise l'accroissement de pouvoirs accordés à la direction, est également oublié. C'était une réforme peu souhaitée à Moscou ou à Varsovie. Les polémiques entre la presse yougoslave et la presse soviétique sur l'autogestion prouvent l'importance qu'on y attache à l'Est.

Une victoire des Slovaques

Husak et son ami l'écrivain Novomecki, pour lesquels la principale réforme à accomplir était la transformation de la Tchécoslovaquie en un État fédéral, remportent la victoire. Le président Svoboda signe, le 30 octobre 1968, à Bratislava, la loi sur la « fédéralisation ». Dans les organismes fédéraux, Slovaques et Tchèques devront désormais être représentés à égalité ; quand le ministre sera tchèque, son secrétaire sera slovaque, et vice versa.

Le parti communiste slovaque ne sera plus une simple organisation territoriale au sein du PC tchécoslovaque. Il aura le même statut que l'organisation parallèle des pays tchèques. Toutes les autres organisations (syndicats, organisations de jeunesse, de femmes, d'anciens combattants, etc.) seront de la même manière scindées et coiffées d'un organisme fédéral.