Le chef de l'État égyptien se bat simultanément sur trois fronts : intérieur, extérieur et militaire. Il paraît persuadé que toute faille, toute faiblesse, sur l'un de ces trois fronts entraînerait l'effondrement du système.

Allier la diplomatie à la violence

Sur le front militaire, il s'efforce d'abord d'assurer le loyalisme de l'armée — ce qu'il obtient en poursuivant les épurations commencées peu après la défaite — et tente de lui redonner confiance dans ses capacités. À cet effet, il poursuit ses efforts pour la doter d'un armement ultramoderne, qu'il obtient de ses alliés soviétiques. Moscou, cependant, manifeste quelques réticences à fournir certaines armes offensives qui pourraient inciter des chefs militaires à se lancer dans de nouvelles aventures.

Les experts russes veillent à ce que l'armée ne franchisse pas les limites fixées par la stratégie politico-militaire commune du Caire et de Moscou. Elle consiste à allier la diplomatie à la violence pour obtenir un règlement honorable du conflit israélo-arabe.

Dans tous ses discours, le président Nasser demeure fidèle à cette ligne de conduite, considérée à l'étranger comme ambiguë par les uns, hypocrite par d'autres, mais qui paraît satisfaire l'armée et l'opinion. Il répète qu'il est disposé à appliquer à la lettre la résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967 ; mais il déclenche des duels d'artillerie sur le canal de Suez en essayant de détruire les fortifications ennemies sur la rive orientale.

Dès le 18 septembre 1968, un porte-parole officiel annonce que les forces égyptiennes mettront en application désormais le principe dit de la défense préventive.

Le président Nasser s'explique, le 2 décembre, dans ces termes : « Nous avions à franchir trois étapes : celle de la résistance, puis celle de la riposte, enfin celle de la libération des terres occupées [...]. L'étape la plus difficile a été celle de la résistance, et nous l'avons traversée. Nous avançons actuellement dans l'étape de la riposte, en renforçant nos forces armées par tous les moyens, afin de passer à l'étape de la libération des terres occupées par Israël. Cela exigera de nous de grands efforts et beaucoup de temps. »

Les réformes économiques

Selon ses termes, le « front intérieur doit tenir à tout prix ». S'il ne parvient pas à combler tous les vœux de ses sujets, il réussit néanmoins à neutraliser une opposition qui risquait de faire tache d'huile. Sans remettre en cause les structures fondamentales de l'État ou le style du pouvoir, les réformes qu'il décrète ne sont pas toutes illusoires et autorisent, en tout cas, des espoirs pour l'avenir.

En juillet-août 1968, il nomme de nouveaux gouverneurs à la tête des Mohafzat (gouvernorats), désigne de nouveaux chefs d'entreprises et de sociétés du secteur public, et réorganise certains ministères. Cent quarante coopératives agricoles au fonctionnement défectueux sont dissoutes ; dans le cadre de la lutte contre la concussion, 300 inspecteurs et comptables de coopératives sont sanctionnés, 54 sont déférés devant les tribunaux. Des centres de formation technique sont créés à l'intention des dirigeants des coopératives.

En novembre 1968 commence la distribution aux paysans pauvres de 64 827 feddans de terres nouvellement bonifiées, tandis que des crédits sont alloués pour la mise en valeur de terres en friche et l'expansion de l'agriculture. D'autre part, divers avantages sont accordés aux travailleurs de l'industrie ; le principe de la répartition d'une partie des bénéfices entre les membres du personnel est appliqué, pour la première fois, au secteur pétrolier : quelque 400 000 ouvriers en bénéficient désormais.

Ton passionné au congrès du parti

Conformément au programme du 30 mars du président Nasser, qui promet l'élargissement de la démocratie, des élections se déroulent en juillet 1968, de la base au sommet de l'Union socialiste arabe. Cinq millions de personnes participent à la consultation. L'organe suprême, le Comité exécutif supérieur, pourtant élu au scrutin secret, est entièrement constitué de fidèles du Rais, dont certains chefs historiques de la révolution, tels Ali Sabri, Hussein el Chafei, Anouar el Sadate et Mahmoud Fawzi.