L'activité de ces commissions a été considérable : publication de journaux et de tracts, rédaction de très nombreux rapports, innombrables propositions sur les structures des établissements, les méthodes pédagogiques, les programmes... Ce fut l'occasion de dialogues souvent d'une grande richesse et tels qu'on n'en avait jamais vus en France. Dans certains cas, les lycéens ont voulu passer immédiatement des propositions à la pratique. C'est ainsi qu'Henri-IV fut déclaré « lycée autonome expérimental ».

Cette contestation n'a pas été sans heurts. L'occupation des lycées a parfois pris des formes violentes. Les comités d'action eux-mêmes étaient divisés entre les réformistes, qui entendaient consacrer leurs efforts à l'étude des problèmes pédagogiques, et les révolutionnaires, qui voulaient se livrer à une critique systématique de la culture et de la société. Cette politisation inquiétait les professeurs, divisés entre grévistes — de loin les plus nombreux — et non-grévistes, et surtout les parents. Des parents et des professeurs farouchement hostiles à la tournure prise par les événements ont constitué des associations ou des syndicats autonomes pour lutter contre cette tendance à la politisation.

Dès la mi-mai, il est apparu à l'évidence que le baccalauréat ne pourrait pas se dérouler aux dates (6-7 juin) et selon les modalités prévues. Le ministère décida donc de le repousser à la fin juin et de le réduire à un simple oral. Les conseils de classe devaient effectuer un premier classement des élèves en trois catégories : « très bon », « assez bon », « devra faire ses preuves à l'examen ».

Les élèves ont été interrogés sur les principales matières au programme dans les nouvelles sections terminales. Le pourcentage de reçus à ce baccalauréat allégé a été sensiblement supérieur à celui des autres années ; à Paris, par exemple, 68,7 % de reçus contre 42,3 % en 1967.

La grève et les syndicats

C'est aux ateliers de Sud-Aviation de Château-Bougon (Loire-Atlantique) que tout commence le 14 mai : les ouvriers occupent l'établissement, soudent les grilles métalliques d'entrée et enferment le directeur dans son bureau. Le surlendemain, à Cléon (Seine-Maritime), les jeunes ouvriers provoquent l'occupation de l'usine Renault, tandis qu'à Paris, aux Nouvelles messageries de la presse parisienne, une grève est déclenchée par des « éléments incontrôlés ». La CGT, dans l'expectative, appelle simplement les travailleurs à « se rassembler sur les lieux de travail pour déterminer leurs revendications ».

En deux jours, le jeudi 16 et le vendredi 17, les occupations d usines se multiplient, sans que les grandes centrales lancent l'ordre de grève générale illimitée. Chez Renault, les étudiants s'efforcent de « rencontrer » les ouvriers, tandis que la CGT dénonce « tout mot d'ordre d'aventure » et déclare : « Nous ne comptons pas sur le mouvement des étudiants pour faire aboutir nos revendications. »

Sans doute, le lundi 13 mai, plusieurs centaines de milliers d'ouvriers et d'étudiants — prés d'un million selon les organisateurs — avaient défilé ensemble à Paris, de la République à Denfert-Rochereau, à l'appel de la CGT, de la CFDT, de la FEN, de l'UNEF et de l'Union départementale parisienne de FO. Mais, pour les syndicats, il s'était alors agi de trouver une porte de sortie spectaculaire à la guérilla revendicative entretenue depuis l'automne.

Avec des réticences à peine dissimulées, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, n'avait pu qu'accepter de se rallier à une nouvelle journée nationale de revendication semblable au 17 mai 1967 (Journal de l'année 66-67), due à l'initiative presque exclusive des étudiants (auxquels, toutefois, la CFDT avait rapidement apporté son soutien). Au soir de cette grève générale de 24 heures, certains syndicalistes s'étaient même inquiétés de la pâleur de la journée d'action « pour l'abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale », prévue de longue date par la CGT et la CFDT pour le 15 mai.

Mai 68 n'est pas juin 36

En deux jours, une situation entièrement nouvelle est créée. La CGT, qui ne se sent plus à la remorque de l'agitation de rue des étudiants, prend ses distances avec ces derniers et s'efforce aussitôt de canaliser le mouvement dans des itinéraires familiers : une grève massive, imposante, mais avec une bonne humeur qui rassure, des revendications quantitatives qui n'effraient pas.