Peu de temps après le début du mouvement, les professeurs se sont réunis en conseils ou en assemblées de facultés. La première décision est, généralement, de décréter l'autonomie de leur établissement. Il s'agit d'affirmer solennellement une indépendance à l'égard de l'administration et du pouvoir central, devenus insupportables.

L'autonomie

Les universitaires se sentaient — à fort ou à raison — constamment bridés et humiliés par un ministère qui, estimaient-ils, décidait des réformes sans les y associer vraiment et refusait ensuite les moyens matériels de les appliquer. Les critiques dont étaient l'objet les universitaires — et souvent de la part du gouvernement lui-même — les ont mis dans une position d'humiliation qui s'exprime spontanément dans ces déclarations d'indépendance.

Un véritable vent de contestation et de remise en question s'abat en quelques jours sur l'Université. Dans chaque faculté, dans chaque école, dans chaque institut, d'innombrables discussions s'engagent, des constitutions, des chartes s'élaborent. On remet en cause la finalité de l'établissement, les programmes, les organismes de gestion, les relations pédagogiques entre maîtres et étudiants.

Ce travail se fait dans un style différent selon la nature des établissements : dans une optique résolument théorique et révolutionnaire dans les facultés des lettres, de façon plus pragmatique dans les facultés des sciences, plus légaliste dans celles de droit. Dans les facultés de médecine, où un travail considérable de réflexion est entrepris, on s'intéresse en premier chef à la lutte contre l'autocratie des grands patrons.

Les grandes écoles ne sont pas les dernières à poser leurs problèmes en termes politiques. Les élèves des écoles d'agronomie remettent en question la politique agricole du gouvernement et s'interrogent sur ce que serait leur rôle en tant que techniciens au service de cette politique. Les élèves architectes posent le problème du système foncier et immobilier en régime capitaliste.

Dans une première période, ces discussions et les décisions qui en ont résulté se sont situées dans le cadre de chaque établissement et ont donc été très hétéroclites. Les nombreuses assises nationales (ou états généraux) qui se sont tenues avant les vacances ont fait apparaître la grande diversité des directions prises et la difficulté qu'il y avait à établir des synthèses et dégager une ligne générale du mouvement.

Tensions et réactions

Par son caractère politique et parfois violent, le mouvement du mois de mai ne pouvait manquer de susciter des inquiétudes ou des réactions hostiles parmi les éléments conservateurs ou simplement modérés. La prise de la Sorbonne et son occupation pendant plus d'un mois par les groupes politiques d'extrême gauche, les drapeaux noirs et rouges, la propagande ouverte en faveur des thèses trotskistes, maoïstes ou castristes ont profondément choqué de nombreux professeurs. Si la liberté d'expression était officiellement proclamée par les étudiants, il était difficile, en cette période révolutionnaire, aux voix conservatrices de se faire entendre.

Dès le mois de juin, des universitaires, parmi lesquels Raymond Aron et la plupart de ceux que regroupe le syndicat autonome, demandaient à leurs collègues de ne pas collaborer aux commissions, qu'ils estimaient soumises au « terrorisme intellectuel » de l'extrême gauche, et de tout faire pour combattre un mouvement trop politisé.

Dans les lycées

Parti des universités, le mouvement de mai a aussitôt gagné les lycées. Les élèves ont été les premiers à passer à l'action, suivis par la majorité des professeurs qui se sont mis en grève. Le terrain avait été largement préparé par l'activité des CAL (Comités d'action lycéens).

Ils étaient apparus pour la première fois au grand jour en janvier, en organisant en plein Paris des manifestations de rue pour protester contre l'expulsion pour activités syndicales et politiques d'un élève du lycée Condorcet.

L'action des lycéens a consisté, d'une part, à participer activement aux manifestations du Quartier latin et aux barricades — voire à prendre l'initiative de certaines de ces manifestations —, d'autre part à occuper les établissements pour y organiser, avec l'aide de certains professeurs, des commissions sur les problèmes pédagogiques et politiques.