Le général de Gaulle a gagné son plébiscite, le régime l'emporte sur toute la ligne, au point que ses chefs doivent en appeler à la modération de leurs partisans, les engager à dominer leur victoire. Aussitôt, l'idée abandonnée de la loi sur la participation est remise en chantier en vue d'un éventuel référendum dans l'hiver ; la note à payer pour les grèves et l'augmentation des salaires est établie, pour être présentée, dès juillet, au Parlement ; la loi d'amnistie est préparée.

Carte blanche

Paradoxalement, la crise de mai, qui aurait pu l'abattre, a tourné à la victoire du régime, elle lui a donné les mains libres, et carte blanche pour agir. Les communistes, qui avaient suivi leurs troupes presque à contrecœur, et la gauche non communiste, qui s'était tue prudemment, sont durement sanctionnés par le pays. Le tiers-parti du centre est écrasé et la division en deux blocs, en deux camps dont on veut espérer qu'ils ne seront pas tentés de s'affronter sur un autre terrain que celui du Parlement et de l'élection, s'est considérablement accentuée. La Ve République entre, avec de Gaulle, dans une nouvelle étape de son histoire.

La crise de l'Université

Étudiants et spécialistes s'attendaient à ce que l'Université connaisse une crise grave à la rentrée 1968. L'histoire a été en avance au rendez-vous.

Dans les semaines qui précèdent le 3 mai, le processus de dégradation, qui se manifestait depuis le début de l'année à Nanterre, prend une accélération de plus en plus difficile à contrôler. Si la date et l'ampleur du mouvement sont alors imprévisibles, les causes en sont déjà visibles.

La révolution universitaire qui ébranle la France au mois de mai, au point de mettre en péril ses institutions politiques, est la résultante de deux phénomènes qui se sont cumulés : le malaise qui régnait parmi les étudiants en raison de la mise en place de la réforme de l'enseignement ; l'action déterminée de groupuscules politiques d'extrême gauche, dont l'existence n'était pas récente, mais qui, du fait du mécontentement général, ont soudain trouvé l'audience d'une couche très large de la population universitaire.

La rentrée 1967 s'est effectuée dans de très mauvaises conditions. Les difficultés sont d'abord d'ordre matériel. « Nous pouvons accueillir 130 000 étudiants, alors que nous en attendons 160 000 », déclare Jean Roche, recteur de l'académie de Paris, lors de la séance solennelle de rentrée. Les efforts de construction entrepris il y a quatre ans sont d'ores et déjà insuffisants.

Le manque de locaux

À Paris comme dans plusieurs autres villes universitaires, le manque de locaux est dramatique. On assiste à un phénomène inquiétant : dans les facultés des sciences de Paris, d'Orsay et de Clermont-Ferrand, les autorités universitaires doivent interrompre les inscriptions, parce qu'il n'est plus possible d'accueillir tous les candidats, à moins de mesures exceptionnelles. Ces mesures seront prises vaille que vaille : dans certains cas, on utilise des lycées, voire un cinéma, mais il est déjà évident que de nombreux étudiants ne disposeront pas des conditions de travail nécessaires à une scolarité normale.

L'encombrement est particulièrement sensible dans les sections préparatoires aux études médicales (CPEM) et dans celles de chimie, biologie, géologie. Ce sont, en effet, les seules, dans les facultés des sciences, auxquelles donne librement accès le baccalauréat de sciences expérimentales. Or, celui-ci fournit précisément le plus grand nombre de bacheliers scientifiques.

La réforme a d'autres incidences. Elle prévoit un plus grand nombre d'heures d'enseignement et la création de travaux pratiques et dirigés en petits groupes, pour lesquels l'assiduité est obligatoire. Cela signifie un accroissement sensible du nombre des assistants et des professeurs. Faute d'hommes et de moyens financiers, cet aspect de la réforme ne sera appliqué qu'en partie et dans de mauvaises conditions.

Conçue essentiellement par des scientifiques et en fonction des besoins de la recherche, la réforme avait pour objet de rendre l'organisation des études dans les facultés plus cohérente et plus rentable. Ses caractéristiques sont d'accentuer la spécialisation, de renforcer les contrôles et de rendre l'orientation des étudiants plus contraignante.

Structures inadaptées

Dans la mesure où la réforme ne remettait pas fondamentalement en question le cadre universitaire, à savoir les facultés et leur mission, elle a contribué, dans les faits, à faire davantage apparaître les déséquilibres et les ambiguïtés des structures traditionnelles et leur inadaptation aux besoins nouveaux.