Les décisions du 16 janvier font l'effet d'une bombe et l'on assiste même à de paradoxales démarches en une ère de décolonisation : K. Lee, Premier ministre de Singapour, vient à Londres supplier le gouvernement de Sa Majesté de conserver sa base à Singapour, et les sultans du golfe Persique offrent de payer les frais du maintien des forces britanniques dans cette région.

Sous-marins atomiques

Sans doute peut-on discuter de l'ampleur réelle de ce repli sur l'Europe au moment même où la porte de la CEE vient de se refermer une nouvelle fois sur l'Angleterre.

Les Anglais conservent certaines bases fort éloignées de l'Europe (Gan, dans les Maldives) et n'abandonnent pas cette colonie de la Couronne aux portes de la Chine : Hongkong. À l'heure des fusées Polaris — et l'Angleterre a lancé cette année son quatrième sous-marin atomique —, les bases permanentes n'ont plus la même importance. Enfin, toute la stratégie britannique reste fondée sur la constitution d'un corps d'intervention pouvant être envoyé rapidement dans n'importe quelle partie du globe. Le tournant pris reste néanmoins capital.

Ce calcul financier correspond aussi à un pari politique. La Grande-Bretagne joue désormais l'Europe, quelles que soient les péripéties des négociations ou des prénégociations. Les illusions qu'avait pu se faire l'équipe de H. Wilson sur les chances immédiates de sa demande d'adhésion au Marché commun s'effondraient le 27 novembre 1967 avec la conférence de presse du général de Gaulle. Le veto français, ou ce qui sera interprété comme tel, jouait à la conférence des Six le 19 décembre.

La règle du tout ou rien

Le gouvernement n'en maintient pas moins une position intangible, celle du tout ou rien. Aucune solution de rechange n'est officiellement envisagée, en dépit des propos menaçants et imprudents lancés par lord Chalfont, chargé des négociations avec les Six. Même la création d'une communauté technologique européenne proposée par H. Wilson n'a jamais été conçue comme un substitut à une adhésion britannique, mais comme un prolongement de la communauté politique élargie.

Pour la Grande-Bretagne, une participation au Marché commun ne peut se concevoir que « pleine et entière », et les avantages économiques qu'elle pourrait retirer d'un quelconque « arrangement commercial » ne peuvent en aucun cas remplacer les avantages politiques qu'elle attend de son entrée officielle dans la CEE.

Obligée de renoncer à faire cavalier seul dans le monde, ne pouvant se contenter d'être le cinquante et unième État des États-Unis, la Grande-Bretagne est, à plus ou moins long terme, obligée de forcer la porte de l'Europe pour trouver un rôle à sa mesure. Quelle que soit l'impasse actuelle, elle n'a pas d'autre issue.

Déroute travailliste

Le drame pour elle est qu'elle subit actuellement les effets négatifs d'une mutation sans en avoir encore les bénéfices, d'où un sentiment de frustration que devait accentuer le budget sauvage présenté par R. Jenkins le 19 mars 1968 pour assurer le succès de la dévaluation.

Austérité, repli stratégique, échec à Bruxelles : le gouvernement de H. Wilson ne pouvait manquer de subir le contrecoup de ces déceptions. Le baromètre de l'opinion que constituent les élections partielles — nombreuses cette année — montre qu'il en a été tenu pour responsable.

Chacun des onze scrutins qui ont jalonné l'année témoigne d'une grave désaffection. Les quatre élections du 29 mars devaient même faire figure de véritable déroute pour le gouvernement : le mouvement des voix en faveur des conservateurs y fut en moyenne de 18 %, ce qui signifie qu'en cas d'élections générales le groupe travailliste aux Communes aurait été réduit au tiers de ses effectifs.

Au sein du Labour Party et du gouvernement lui-même, un certain flottement se fait sentir. Ceux qu'on appelle les rebelles de la gauche — 70 députés environ — n'ont cessé de harceler le Premier ministre : manifeste sur la politique économique, abstention dans le débat sur la Défense, attaques contre le chômage et le blocage des salaires, etc.

Démissions et remaniements

La cohésion gouvernementale, de son côté, est soumise à rude épreuve. H. Wilson doit remanier son équipe à plusieurs reprises, soit pour compléter les vides laissés par des démissions spectaculaires, soit pour donner un élan nouveau à la politique. Le 28 août 1967, il prenait personnellement en main la politique économique, à laquelle il entendait donner ainsi une priorité absolue. Il profitait de cette occasion pour éliminer le trop anti-européen Douglas Jay et le remplacer au Board of Trade par R. Crosland.