L'événement, annoncé tout d'abord par un simple communiqué de la Trésorerie, trouvait une mise en scène à sa mesure dans un débat dramatique aux Communes, où le Premier ministre était accueilli par les cris de « Démission ! Démission ! ». L'épilogue provisoire survenait onze jours plus tard, avec le retrait du chancelier de l'Echiquier, J. Callaghan, remplacé par R. Jenkins.

Cette dévaluation n'est pas un simple constat d'échec. Elle marque, en un sens, un tournant historique. Jamais, sans doute, dans l'histoire du Royaume-Uni, une mesure strictement financière — et d'une ampleur somme toute fort limitée, puisque le taux de cette dévaluation n'est que de 14,3 % — n'aura été aussi déterminante pour le pays tout entier. Psychologiquement, politiquement, militairement, les conséquences de la décision du 18 novembre sont sans commune mesure avec l'importance de la décision elle-même.

Le désengagement à l'est de Suez, le repli sur l'Europe, l'évolution du travaillisme ne s'expliquent ou ne se justifient que par ce mot clef : dévaluation, devenue aux yeux de H. Wilson le moyen quasi miraculeux de faire sauter la camisole de force qui empêchait depuis quinze ans la Grande-Bretagne de récolter le fruit de ses efforts.

Il reviendra aux historiens de déterminer si elle a vraiment joué le rôle moteur que les apparences lui donnent ou si elle n'a été qu'un élément d'une évolution globale dont la monnaie n'est qu'un aspect. Provisoirement, elle peut être considérée comme le point culminant d'une nouvelle bataille d'Angleterre.

Les Britanniques ont, le 23 avril 1968, fait leur première expérience de monnaie décimale, avec la sortie des pièces de 5 et 10 nouveaux pence. Dans trois ans, le système plus de quatre fois centenaire, de la livre sterling, des shillings (20 pour 1 livre) et des pence (12 pour 1 shilling) aura vécu. Du moins sur le papier, qui ne portera plus que des livres divisibles en 100 nouveaux pence. L'accueil réservé aux nouvelles pièces est peu encourageant pour la Commission de la devise décimale. Il est probable qu'en 1971 les ménagères parleront plus souvent en guinées (21 shillings) et six pence (1/2 shilling) qu'en nouveaux pence.

Coupes sombres

La crise financière a obligé H. Wilson à se battre sur trois fronts : économique, militaire et parlementaire. C'est dans le domaine stratégique que la défense du sterling a imposé les décisions les plus lourdes de conséquences. La nécessité de soulager le budget, et plus encore la balance des paiements britannique, impliquait par priorité le sacrifice de certaines responsabilités mondiales et, par là même, une reconversion militaire et politique.

Dès le mois de juillet 1967, un Livre blanc sur la Défense annonce le retrait des forces britanniques de Singapour et de Malaisie « au cours de la prochaine décennie ». Décision capitale, mais dont l'application restait encore éloignée dans le temps, en tout cas assortie d'une certaine progressivité. Pour l'immédiat, quelques mesures d'économie et la promesse de tailler dans les effectifs de l'armée, l'objectif du ministre de la Défense Healey étant de ramener les dépenses militaires en dessous de 2 millions de livres dès 1970.

Comme dans tous les autres domaines, ces coupes sombres se révélèrent largement insuffisantes. Il fallut aller beaucoup plus loin. Au lendemain de la dévaluation, Healey annonce l'annulation de la commande des 50 F 111 aux États-Unis. Mais ce n'était alors qu'un sacrifice de rigueur et il fut sans doute plus difficile de faire avaler la pilule à Washington qu'à l'état-major britannique.

Retraite stratégique

Le grand pas est franchi le 16 janvier 1968 : la Grande-Bretagne renonce à sa présence militaire séculaire à l'est de Suez. Il ne s'agit plus, cette fois, de l'évacuation à terme de quelques bases, mais bien d'un repli général de l'Extrême-Orient au Moyen-Orient.

Le départ en catastrophe des forces britanniques d'Aden accédant à l'indépendance deux mois plus tôt que prévu avait, dès le mois de novembre, jeté un doute sur l'avenir de la politique britannique dans ce secteur. Mais on pensait encore, fin 1967, que Londres maintiendrait sa protection militaire aux sultanats du golfe Persique et qu'elle conserverait une base au large de la péninsule arabique.