L'élection du général Thieu à la présidence sud-vietnamienne a peu d'effet sur la situation militaire. Elle ne suffit pas, d'autre part, à désarmer les critiques croissantes aux États-Unis. Un mois et demi plus tard, le 21 octobre, Washington est pratiquement en état de siège à l'occasion de la plus importante — et violente — manifestation organisée contre la guerre.

Le président Johnson donne le feu vert à une augmentation de l'engagement militaire des États-Unis au Viêt-nam, cédant ainsi aux faucons, et son ministre de la Défense multiplie les avertissements. Déposant, au mois d'août, devant une sous-commission sénatoriale, Robert McNamara se heurte à de nombreux chefs militaires. Pour lui, les bombardements du Viêt-nam du Nord, tout en affaiblissant la position internationale des États-Unis, ne hâtent pas la fin de la guerre, à moins de raser totalement le pays. La guerre ne peut être gagnée — ou perdue — qu'au Viêt-nam du Sud.

Robert McNamara n'est pas écouté tout de suite par le président, soumis à de très fortes pressions des chefs d'état-major. Au début du mois de décembre, on apprend qu'il décide d'abandonner ses fonctions.

Nouveaux degrés dans l'escalade

Peu après le retrait de McNamara, la grande offensive du Viêt-cong venait confirmer ses dires sur la vanité des bombardements du Viêt-nam du Nord. Alors que les critiques contre la guerre ne cessent de concerner des milieux de plus en plus conservateurs (comme, par exemple, le sénateur républicain Thruston Morton, un ancien faucon), l'Amérique se passionne pour les défenseurs de Dak To ; c'est ensuite le tour de la base de Khe Sanh, à proximité du 17e parallèle, dont la situation extrêmement critique symbolise la situation militaire des États-Unis au Viêt-nam du Sud. Ces événements, aggravés par la prise du bateau espion américain Pueblo par les Nord-Coréens, provoquent un véritable traumatisme aux États-Unis, qui envisagent pour la première fois dans leur histoire l'hypothèse d'une défaite.

Au fur et à mesure que la situation se dégrade, de nouveaux degrés dans l'escalade sont évoqués : occupation d'une partie du Laos, opérations militaires contre le Cambodge, accusé de servir de sanctuaire au Viêt-cong, utilisation d'armes atomiques tactiques, élargissement de la guérilla à la Thaïlande.

Deux coups de théâtre

L'évolution de la situation intérieure aux États-Unis s'accélère brutalement : le 12 mars 1968, le sénateur Eugène McCarthy, qui a posé au mois de novembre sa candidature à l'investiture démocrate pour les élections présidentielles, remporte un important succès aux élections primaires du New Hampshire. Ce succès entraine dans l'arène politique le sénateur Robert Kennedy, qui a pourtant maintes fois répété depuis plusieurs mois qu'il ne s'opposerait pas au président Johnson. Conscient d'avoir sous-estimé le mécontentement de ses concitoyens face à la guerre du Viêt-nam, le sénateur de New York pose sa candidature peu après les résultats du New Hampshire, au risque de s'entendre qualifier d'opportuniste par les partisans de McCarthy, dont personne n'a pris l'entreprise au sérieux quelques mois plus tôt.

Quelques jours plus tard, le président Johnson fait connaître son intention de ne pas se représenter aux élections et de limiter les bombardements du Viêt-nam du Nord. Auparavant, il a relevé le général Westmoreland, commandant des forces américaines au Viêt-nam du Sud. Le général, promu au poste de chef d'état-major de l'armée de l'air, s'était fait remarquer à plusieurs reprises par ses prédictions extrêmement optimistes quant à l'évolution militaire du conflit et par ses incessantes demandes de renforts. Son adjoint, le général Paul Abrams, lui succède.

La route est ainsi ouverte en direction d'éventuelles négociations.

La disparition de Bob Kennedy

En contribuant à ouvrir les discussions de Paris et en mettant en avant son retrait de la scène politique — un gage de sa bonne foi —, Lyndon Johnson a confisqué à ses deux adversaires démocrates, les sénateurs Robert Kennedy et Eugène McCarthy, leur principal sujet de campagne électorale : le conflit vietnamien. Ne parvenant pas à se mettre d'accord, les deux sénateurs n'en continuent pas moins leur campagne, passant, avec des hauts et des bas, les tests des différentes élections primaires. À la fin du mois d'avril, un nouveau prétendant entre dans l'arène : le vice-président Humphrey. Il bénéficie du soutien de Johnson. Très vite, Hubert Humphrey s'impose comme le favori, non en raison de ses résultats aux élections primaires — il a fait acte de candidature trop tard pour pouvoir y participer —, mais parce qu'il a le soutien des politiciens de la machine démocrate hostiles à Robert Kennedy comme au candidat de la paix, Eugène McCarthy.