Au Québec, où le général de Gaulle a reçu un accueil extrêmement chaleureux, en opposition totale avec la froide réception réservée, deux ans plus tôt, à la reine Elisabeth, ses déclarations ont incontestablement renforcé le courant favorable à l'octroi d'un statut particulier à la province francophone.

Un atout de poids

La reconnaissance et la proclamation du bien-fondé de ses revendications par une personnalité au prestige international fournissent, d'autre part, au gouvernement provincial de Daniel Johnson un atout de poids dans ses négociations avec Ottawa. Dans le même temps, le général de Gaulle a placé en face d'une réalité volontiers ignorée la grande masse des anglophones.

L'élection de Robert Stanfield à la tête de l'opposition conservatrice, en remplacement de John Diefenbaker — résolument opposé à toutes les revendications québécoises —, est également révélatrice de cette évolution.

Contrairement aux spéculations, le geste du président français n'a pas accru dans une grande proportion les partisans d'une sécession totale du Québec, même si un certain nombre de personnalités ont fait le saut à cette occasion. C'est notamment le cas de René Lévesque, ancien ministre de la province, qui a démissionné du parti libéral pour protester contre les critiques adressées au général de Gaulle par Jean Lesage, ancien Premier ministre provincial, actuellement dans l'opposition.

R. Lévesque ne réclame d'ailleurs pas l'indépendance totale du Québec, mais la reconnaissance de sa souveraineté et le maintien de rapports économiques étroits avec le reste du Canada. Le mouvement souveraineté-association, fondé au lendemain de la visite du général de Gaulle, défend cette thèse ; il envisage un rapprochement avec les deux principales formations indépendantistes que sont le RIN et le Ralliement national (RN).

Assistance culturelle

Les déclarations du général de Gaulle ont également été suivies par un renforcement de la coopération culturelle, technique et économique franco-québécoise, qui s'est soldé par l'échange de nombreuses missions.

Il a été décidé de doubler à brève échéance les échanges entre Paris et Québec de professeurs, de boursiers, d'ingénieurs. Il est également prévu d'échanger un millier de jeunes gens entre les deux capitales dans le cadre d'un Office franco-québécois de la jeunesse, copié sur l'Office franco-allemand.

Paris n'entend pas limiter son aide culturelle aux seuls francophones du Québec. Au début de 1968, quatre représentants de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick ont été reçus à Paris et se sont vu promettre une importante assistance culturelle.

Ottawa et les revendications

Les rapports entre Ottawa et Québec, bien que très tendus, n'ont pas atteint un degré de rupture. Pour la première fois et à deux reprises, le Premier ministre du Québec, Daniel Johnson, n'en pose pas moins les revendications de sa province : d'abord au mois de novembre 1967 à Toronto, lors de la conférence des Premiers ministres, ensuite à Ottawa, au début de février, à la conférence constitutionnelle fédérale-provinciale.

Cette dernière réunion permet de mesurer le différend. Alors que le gouvernement québécois réclame un statut pour la province francophone à l'intérieur de la Confédération, le gouvernement central propose une suite d'importantes réformes visant à mettre fin aux discriminations dont souffrent les Canadiens français dans tout le pays depuis plus d'un siècle.

Cette dernière thèse est particulièrement défendue par P. Trudeau, qui parle de défense des droits de l'homme, alors que D. Johnson parle de défense des droits de la collectivité francophone réduite aux seuls Québécois.

Malgré la différence qui sépare ces deux conceptions, la position fédérale n'en constitue pas moins un net progrès. Elle reconnaît l'existence d'un grave problème et propose l'ébauche d'une solution. Cette ébauche est contenue dans les conclusions de l'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme commencée en 1964.

Les commissaires recommandent notamment l'institution d'un véritable bilinguisme dans les provinces comptant au moins 10 % de francophones (Ontario, Nouveau-Brunswick) et dans les districts administratifs des autres provinces anglophones comptant au moins la même proportion de Canadiens français.

Application longue et laborieuse

Ces propositions, que P. Trudeau s'est engagé à faire appliquer, ont reçu un accueil compréhensif dans la plupart des provinces concernées, exception faite de la Colombie britannique, traditionnellement tournée vers les États-Unis. Leur mise en application risque cependant de se révéler longue et laborieuse, sans pour autant satisfaire les revendications du Québec.