concept

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin conceptus, du verbe concipere, contenir.


Si on limite le sens du concept à celui qu'il possède dans ce que Hegel nomme les déterminations d'entendement, on ne décrit qu'une certaine opération de l'esprit face au donné : il définit, articule et met en ordre les propriétés d'une chose. C'est là sans nul doute le sens fixé par Platon à l'activité du dialecticien, ce bon boucher qui sait reproduire les bonnes articulations des choses pour en produire la définition. Bien différente est l'interprétation hégélienne du concept comme vie et automouvement des essentialités logiques par où la science de la logique devient une authentique odyssée de la conscience se faisant conscience d'elle-même.

Philosophie Générale, Philosophie Moderne

1. Représentation générale ou réfléchie de ce qui est commun à plusieurs objets. En tant que tel, le concept s'oppose à l'intuition. – 2. Produit de l'activité abstrayante de la pensée et outil logique de raisonnement, le concept se conçoit, avec l'idéalisme allemand, comme étant immanent au réel.

La connaissance par concepts, procédant à partir de déterminations abstraites, est un mode de connaissance spécifiquement distinct de la connaissance intuitive qui, à partir d'une représentation singulière, se rapporte immédiatement aux objets de l'expérience.

Concept, idée, représentation

Parmi les pensées, certaines sont comme les images des choses, et c'est à celles-là seules, selon Descartes, que convient proprement le nom d'« idée », comme lorsqu'on se représente un homme ou une chimère, le ciel, Dieu ou un ange(1). Ces idées semblent être nées avec nous, d'autres viennent du dehors, d'autres enfin sont faites et inventées par nous-mêmes. Le concept est donc, au même titre que toute idée, « un ouvrage de l'esprit, sa nature est telle qu'elle ne demande de soi aucune autre réalité formelle que celle qu'elle reçoit et emprunte de la pensée ou de l'esprit, dont elle est seulement un mode, c'est-à-dire une manière ou façon de penser »(2), en d'autres termes, un attribut de la pensée.

Bien que Descartes les pense en termes de « tableaux » ou d'« images », les idées ou représentations que sont les concepts n'impliquent pas la ressemblance, puisque des deux idées que nous avons du Soleil, par exemple, l'une tire son origine des sens et, par conséquent, vient du dehors, alors que l'autre est prise des raisons de l'astronomie, c'est-à-dire de notions nées avec moi, ou bien encore se trouve formée par moi-même, de telle sorte que, par elle, le Soleil me paraisse plusieurs fois plus grand que la Terre. Par la première idée, en revanche, le Soleil paraît extrêmement petit. Par conséquent et puisque ces deux idées du Soleil ne peuvent pas être toutes deux semblables au même Soleil, on peut en déduire que celle qui vient immédiatement de son apparence est celle qui lui est le plus dissemblable.

L'origine des concepts

Cette origine multiple des concepts est confirmée par Locke dans l'Essai philosophique concernant l'entendement humain de 1690. Toutes nos idées tirent leur origine de deux principes : « Les choses extérieures et matérielles qui sont les objets de la sensation, et les opérations de notre esprit, qui sont les objets de la réflexion.(3) ». Ainsi, la sensation est la source des qualités sensibles, c'est-à-dire des idées du blanc, du jaune, du chaud, du mou, du doux, de l'amer. La réflexion, pour sa part, est au principe d'une autre espèce d'idées, que les objets extérieurs ne peuvent pas fournir, comme les idées de ce qu'on appelle apercevoir, penser, douter, connaître, vouloir.

Dans les deux cas, toutefois, l'expérience demeure le fondement de toutes nos connaissances, et c'est d'elle que les idées et les concepts tirent leur première origine. Seule l'introduction par Hume, dans l'Enquête sur l'entendement humain, du terme d'« impression » permet de distinguer et de spécifier le concept au sein des perceptions de l'esprit. Constatant que nous pouvons diviser toutes les perceptions de l'esprit en deux classes ou espèces, à partir de leur degrés de force ou de vivacité, il propose d'appeler « impressions » « toutes nos plus vives perceptions quand nous entendons, voyons, touchons, aimons, haïssons, désirons ou voulons », d'une part ; et « idées » ou « pensées », d'autre part, celles « qui sont les moins vives perceptions, dont nous avons conscience quand nous réfléchissons à l'une des sensations ou à l'un des mouvements que je viens de citer »(4).

Les concepts ou idées naissent de la réflexion, lorsqu'elle prend pour objet les affections et sentiments passés. Ils sont un « miroir fidèle » de nos perceptions originelles plus vives qu'elles copient. Le concept est donc la copie d'une impression semblable(5).

Abstraction et représentations générales

L'opération intellectuelle à partir de laquelle s'engendre le concept s'analyse en comparaison, réflexion et abstraction(6). La comparaison consiste dans la confrontation des représentations entre elles, en relation avec l'unité de la conscience. La réflexion est la prise en considération de la manière dont diverses représentations peuvent être saisies en une conscience. Enfin, l'abstraction consiste à mettre de côté ce par quoi les représentations se distinguent. À elle seule, l'action d'abstraire ne permet pas de produire des concepts. Elle a seulement pour fonction d'achever cette opération, en l'enfermant dans des limites bien définies.

Le concept est alors l'élément le plus simple qui, au sein d'un raisonnement déductif, se combine à d'autres concepts pour donner lieu à un jugement qui, lui-même et par conjugaison avec un autre jugement, produira un syllogisme.

Alors que Locke et Hume s'accordent à voir dans l'expérience l'unique origine de nos concepts, l'analyse kantienne de nos facultés de connaissance découvre que ces derniers peuvent être soit empiriques, soit purs. Dans ce dernier cas, le concept est produit par la spontanéité de l'entendement(7), et non par une comparaison des objets de l'expérience, à laquelle l'entendement confère la forme de la généralité. Toutefois, dans la mesure où aucune représentation ne se rapporte à l'objet, si ce n'est par l'intuition, un concept se rapporte toujours à une autre représentation de l'objet (intuition ou concept), et non directement à celui-ci.

Concepts et catégories

La table des concepts purs de l'entendement, établie par Kant, dans la Critique de la raison pure, vient corriger et systématiser la liste des prédicaments aristotéliciens, relatifs à la substance, à la quantité, à la qualité, à la relation, au lieu, au temps, à la position, à la possession, à l'action et à la passion(8). Aucun de ces termes n'a de signification en et par lui-même. Ces catégories sont la liste des prédicats les plus larges pouvant être affirmés essentiellement des diverses entités nommables. Ils permettent de penser l'identité, la réalité et les modalités d'existence de celles-ci. Ces outils de toute description de l'expérience sensible, en son universalité, et d'élaboration de ses déterminations, présentent une analogie avec les structures du langage.

Ainsi É. Benveniste, dans les Problèmes de linguistique générale, remarquant, d'une part, que les six premières catégories aristotéliciennes correspondaient à des formes nominales du grec, et, d'autre part, que la division en noms propres et noms communs est à l'origine de la discrimination entre substance première et substances secondes, formule l'hypothèse selon laquelle les catégories aristotéliciennes seraient des abstractions obtenues à partir des structures linguistiques. Toutefois, l'insuffisante systématicité de la démonstration de Benveniste met en doute la thèse d'une conaturalité globale de la pensée et du langage. Qu'il ait pour principe le langage ou un acte spontané de la pensée, le concept ne peut se concevoir hors de la relation au réel qu'il a pour fonction de décrire, de comprendre et de penser.

L'Idée, unité du concept et de la réalité

Lorsque le rapport du concept au réel est simplement extérieur et immédiat, il est simple représentation. Toutefois la détermination du concept, comme produit de l'entendement ou représentation, est unilatérale et finie, car le concept contient en lui comme supprimées toutes les déterminations antérieures de la pensée : par exemple, l'opposition de la forme et du contenu. En tant que tel, il est l'absolument concret. Le concept n'est donc pas seulement une forme, en soi sans contenu, de notre pensée subjective. Il est forme infinie, créatrice qui renferme en elle-même et laisse aller hors d'elle la plénitude de tout contenu. Le concept est alors au principe d'un processus dialectique, par lequel se trouve posé ce qui est en soi déjà présent(9).

Ainsi entendu, le concept est essentiellement productif : il se différencie activement de lui-même en un sujet et un objet, ou bien en universel, particulier et singulier, et tout à la fois cherche à restaurer son unité. L'Idée, en tant qu'unité absolue du concept et de l'objectivité, est alors le Vrai en et pour soi.

Cependant, elle est la vérité, non pas parce que l'objectivité correspondrait au concept, c'est-à-dire à une représentation subjective, mais parce que tout être effectif, pour autant qu'il est un être vrai, est l'Idée et n'a sa vérité que par l'Idée et en vertu d'elle. C'est seulement dans cet être et dans sa relation à d'autres effectivités que le concept est réalisé.

Cette coappartenance de l'être et de la pensée se trouve repensée et reformulée par la phénoménologie, à distance aussi bien du sens spéculatif que du sens représentatif du concept, afin de se rendre attentif à la dispensation de l'être.

Caroline Guibet Lafaye

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, III, in Œuvres de Descartes, publiées par Ch. Adam et P. Tannery, Cerf, volume IX, Paris, 1897 à 1913, p. 29.
  • 2 ↑ Ibid., III, AT, volume IX, p. 32.
  • 3 ↑ Locke, J., Essai philosophique concernant l'entendement humain, livre II, chap. I, § 4, Vrin, Paris, 1994, p. 62.
  • 4 ↑ Hume, D., Enquête sur l'entendement humain, section II, Garnier-Flammarion, Paris, 1983, p. 64.
  • 5 ↑ Ibid., p. 65.
  • 6 ↑ Kant, E., Logique, t. IX, § 6, éd. de l'Académie, p. 94.
  • 7 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, éd. de l'Académie.
  • 8 ↑ Aristote, Catégories, 4, 1 b 25-27.
  • 9 ↑ Hegel, G. W. Fr., Encyclopédie, t. I, Science de la logique, § 161, Add., Vrin, Paris, 1986, p. 591.

→ abstraction, catégorie, représentation

Philosophie Générale, Épistémologie, Philosophie Cognitive

Représentation intellectuelle, générale et abstraite d'un objet.

La pensée conceptuelle désigne l'acte de réflexion et d'invention d'ordre spéculatif ou théorique, et se démarque de la pensée commune et de l'opinion. Selon Aristote, le concept résulte de l'activité de l'intellect qui compare entre elles des impressions semblables jusqu'à en dégager une essence formelle, détachée des qualités concrètes et particulières, et qui porte la signification de l'universel également présent en toutes(1).

Le problème que soulève Porphyre, au iiie s. apr. J.-C., dans son Introduction à Aristote (Isagogé), est celui du rapport de l'universel au particulier et du statut de l'essence formelle : n'est-ce qu'un concept de l'esprit ou existe-t-elle à l'état séparé ? Cette question qui interroge le rapport d'Aristote à Platon a soulevé la fameuse Querelle des universaux, où s'affrontent trois positions principales : celle qui s'est inspirée du platonisme, selon laquelle l'universel existe à l'état séparé (« réalisme » défendu notamment par Bernard de Chartres et Guillaume de Champeaux aux xie et xiie s.) ; la position inverse, selon laquelle les universaux sont de simples noms qui n'ont aucune réalité en dehors du langage (« nominalisme » défendu notamment par Roscelin à la même époque) ; enfin, la position selon laquelle ce qui est visé par le concept (l'universel) dans le réel est une propriété n'existant pas à l'état séparé, mais appartenant réellement au sujet ou aux individus auxquels il s'applique (« conceptualisme » défendu notamment par saint Thomas d'Aquin au xiiie s.). En ce sens, le concept est l'outil privilégié de la science et de la philosophie.

Mais l'acte de penser par concepts peut aussi signifier, de manière non normative, l'inhérence d'un découpage conceptuel à tout langage de par sa fonction de référence à la réalité, et la prégnance de ce découpage conceptuel dans l'expression de la pensée. Bergson explique que le concept comme l'outil sont des médiations entre l'homme et son environnement, au service d'une tactique de la vie : nommer, c'est classer(2). Or, pour nommer, il faut penser, donc penser conduit transitivement à classer ; autrement dit, penser, c'est opérer un découpage conceptuel de la réalité. Cependant, on n'est pas libre d'opérer n'importe quel découpage conceptuel, car un individu, pour parler et penser, se plie d'abord à celui que lui impose la langue qu'il a apprise. Mais penser peut signifier autre chose qu'exprimer, par le fait même de parler, tel ou tel découpage conceptuel lié à telle ou telle langue, telle culture, telle histoire. Penser peut signifier s'approprier une classification ou un système de concepts, qu'il soit d'ordre scientifique ou philosophique, et même inventer et construire une nouvelle classification ou un nouveau système de concepts, d'où une corrélation entre la théorie du concept et la théorie de la classification. La philosophie aristotélicienne est, à ce titre, pionnière : Aristote est tout aussi bien le premier logicien du concept (l'Organon est la boîte à outils du logicien philosophe) que le premier systématicien des êtres vivants (son histoire naturelle est un système de concepts visant à rendre intelligibles les formes essentielles que réalisent les êtres individuels). Le concept actualise la puissance d'inventer qui s'exerce en science ou en philosophie.

L'approche scientifique du concept

Un concept, avant d'acquérir une valeur scientifique, a d'abord le statut d'une hypothèse qui est soumise à l'épreuve des faits. Aussi bien H. Poincaré que, plus récemment, R. Carnap insistent sur le fait que la méthode expérimentale est une méthode quantitative en trois étapes : on commence par repérer, dans les conditions de l'expérience, une relation entre deux grandeurs (qui peuvent être extensives : par exemple, l'espace et le temps ; ou intensives : par exemple, la pression et la température) ; on mesure cette relation dans un certain nombre de cas, ce qui permet de construire un tableau à deux colonnes que l'on transcrit en deux axes de coordonnées, les x en abscisses, les y en ordonnées ; on obtient ainsi un nuage de points que l'on cherche à relier dans la courbe la plus simple ou la plus plausible – c'est l'étape de la généralisation, qui comporte un risque logique, puisque la courbe que l'on trace comporte une multitude de points qui ne correspondent à aucune mesure réellement effectuée. Reste la difficulté de donner à cette courbe une signification mathématique, autrement dit de trouver l'idée ou le concept de la courbe, la fonction mathématique qui la caractérise. Cette troisième étape est celle de l'invention du concept par le décryptage de la courbe. Par exemple, Kepler a décrypté la signification de la trajectoire elliptique des planètes autour du Soleil à partir des tables astronomiques de Tycho-Brahé : il n'a certes pas inventé le concept géométrique d'ellipse, mais il a inventé la loi selon laquelle pour toute position de la planète, si on envisage en même temps quelques autres points, parmi lesquels le Soleil, de façon à obtenir une figure géométrique, on peut énoncer entre ces points la relation quantitative qui sert de définition aux points d'une ellipse et aux foyers. La proposition que les planètes avaient une trajectoire elliptique, Kepler ne l'a pas conclue, par voie logique, de la connaissance des faits, mais l'a d'abord risquée comme une hypothèse plausible qui devait être jugée par ses conséquences expérimentales et par la fécondité et la validité des prévisions qu'elle permet. Quand cette hypothèse passe l'épreuve des faits, elle acquiert le statut de loi ou de concept scientifique, sinon elle est abandonnée. Ce qui fait dire à Poincaré que le problème de la probabilité des hypothèses qui prétendent au titre de lois ou de concepts est le problème essentiel de la méthode expérimentale(3). L'avantage majeur de cette méthode quantitative est qu'elle permet de corréler des concepts quantitatifs en une loi quantitative. Carnap insiste sur l'efficacité des lois quantitatives pour expliquer les phénomènes observés et pour en prédire de nouveaux, et note que, même à l'aide d'un langage qualitatif très riche, on serait bien en peine d'exprimer une loi, aussi simple soit-elle(4). Cependant la science ne saurait ignorer, remarque G. Canguilhem, les concepts qualitatifs, à moins de prétendre annuler les variétés qualitatives par leur réduction à une différence quantitative, prétention qui tourne court au premier coup d'œil : les couleurs perçues par l'œil humain, c'est-à-dire les variétés qualitatives des lumières simples, ne sauraient être réduites à la différence quantitative des longueurs d'onde(5).

L'approche philosophique du concept

C'est précisément dans la réflexion sur le rapport entre concepts quantitatifs et concepts qualitatifs que se joue l'approche philosophique du concept. Hegel soutient, en ce sens, que la quantité, par son accroissement ou sa diminution, se change en qualité, ce qui serait inconcevable si un rapport à la qualité ne persistait dans la qualité « réduite » à une différence quantitative(6). Il conçoit ce passage de la quantité à la qualité comme un moment du devenir des essentialités logiques. Par exemple, la vieillesse peut être considérée comme l'aboutissement d'un phénomène quantitatif (nombre d'années qui déterminerait des seuils d'âge : l'âge de la retraite, l'âge de la mise en retraite sociale dans les résidences de « personnes âgées », etc.). Mais, si le premier seuil – l'âge de la retraite – a un sens légal, il n'est évidemment pas possible de fixer le seuil de la vieillesse et de dire à une année près à quel âge quelqu'un devient vieux ou une personne âgée (à moins de dire qu'on devient vieux dès sa naissance et que toute personne a un âge et, par conséquent, est âgée). C'est l'interaction de ces deux types de concepts (passage de la qualité à la quantité et de la quantité à la qualité) que la philosophie cherche à arbitrer, tâche que Kant assigne à l'usage régulateur des idées de la raison(7). Kant se sert du terme d'horizon pour désigner le rôle régulateur et non constitutif des principes rationnels d'homogénéité du divers selon les genres, et de variété de l'homogène selon les espèces. L'horizon, c'est la circonscription d'un territoire déterminé par des points de vue, c'est la circonscription d'un genre, d'une espèce ou d'une sous-espèce déterminés par des concepts. Le concept, selon Kant, est le point de vue. On peut retenir de sa métaphore visuelle qu'un horizon ne se décompose qu'en horizons et jamais en points sans circonscription. De même un concept ne s'analyse qu'en concepts, mais la conception des concepts, leur horizon logique, ne peut être un concept ordinaire. L'horizon logique renvoie à une structure transcendantale de la connaissance, parfaitement résumée dans la fameuse locution allemande als ob, « comme si » : les hommes n'ont pas le droit d'espérer pouvoir se placer au point de vue d'un intellect archétypal, mais doivent faire comme si ce point de vue existait, idée régulatrice qui leur donne à la fois l'unité systématique de la nature et l'unité rationnelle des règles. Seul l'intellect archétypal aurait le point de vue central, c'est-à-dire le concept qui serait aussi bien connaissance qu'intuition, concept qui recevrait la forme (« concept » vient de concipere, « recevoir »), mais qui également la produirait. Or, ce que Kant s'interdit de penser, à savoir l'identification entre l'horizon logique des concepts et les forces de la nature naturante qui donnent des formes à connaître, Hegel ose le penser dans la sursomption du moment du savoir représentatif par le penser spéculatif, qui fait coïncider concept et réalité dans la vie même du savoir, la connaissance ne pouvant s'auto-organiser que par le développement ou la vie propre du concept, condition sine qua non de la science. Pour Hegel, la présentation que la logique habituelle donne de la nature du concept permet simplement d'accéder à un entendement qui immobilise l'activité de penser dans un ensemble de représentations et de caractéristiques formelles. Seule la logique dialectique peut accueillir en elle la puissance infinie du concept, c'est-à-dire du concret et de ce qu'il y a de plus riche dans la réalité. Le concept est, en effet, le fondement et la totalité des déterminations antérieures, des catégories de l'être et des déterminations de réflexion qu'il produit et qu'il exprime. Dès lors, ce que Hegel demande au langage naturel, c'est d'offrir au penser spéculatif, c'est-à-dire au concept, toutes les ressources, non plus d'un symbolisme logique univoque par convention, mais d'un discours toujours en procès de production et de création de sens. Hegel met ainsi en évidence le concept dans sa signification la plus radicale, qui est d'exprimer la pouvoir humain d'inventer.

Véronique Le Ru

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, De Anima, III, 4, trad. Barbotin, Les Belles Lettres, Paris, 1966 ; Seconds Analytiques, II, 19, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1962.
  • 2 ↑ Bergson, H., La Pensée et le Mouvant, PUF, Paris, 1938.
  • 3 ↑ Poincaré, H., La Science et l'Hypothèse, Flammarion, Paris, 1902.
  • 4 ↑ Carnap, R., Les Fondements philosophiques de la physique, Armand Colin, Paris, 1973.
  • 5 ↑ Canguilhem, G., « Le concept et la vie », in Études d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1968.
  • 6 ↑ Hegel, G. W. Fr., Science de la logique (3 vol.), trad. P. J. Labarrière et G. W. Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972-1981 ; Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. M. de Gandillac, Gallimard, Paris, 1966.
  • 7 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, Paris, 1968.

→ catégorie, classification, dialectique, idée, invention, langage naturel, logique, philosophie, réalité, science

Philosophie de l'Esprit, Psychologie

Entité intensionnelle, constituant d'un contenu de pensée.

Le terme de concept a été utilisé dans l'histoire de la philosophie dans diverses acceptions techniques. Dans son acception traditionnelle la plus courante, un concept est une idée abstraite générale, constituant le sens d'un prédicat général. (Cet usage n'est pas celui de Frege(1) pour qui un concept est une entité objective abstraite, indépendante de l'esprit et constituant la référence d'un prédicat.) Dans une conception réaliste des concepts, un concept se distingue à la fois du prédicat qui l'exprime et de la propriété qu'il signifie. Si Socrate est philosophe, il exemplifie la propriété d'être philosophe, et tombe sous le concept exprimé par le prédicat « est philosophe ». On distingue, en outre, l'extension ou la dénotation d'un concept – les objets auxquels il s'applique – de son sens ou connotation – les propriétés qu'il connote. Ainsi, les concepts exprimés respectivement par « est triangulaire » et « est trilatéral » ont la même référence, mais une connotation différente.

La philosophie de l'esprit contemporaine reprend l'usage le plus courant du terme, selon lequel un concept est une manière de penser à un objet particulier, une propriété, une relation, ou un autre type d'entité (outre les concepts généraux, certains philosophes admettent également l'existence de concepts individuels, par exemple le concept associé au nom « Socrate »). Elle se concentre essentiellement sur le rôle que jouent les concepts dans l'explication des processus psychologiques. Celle-ci présuppose qu'un individu donné peut être dans le même type d'état cognitif en différentes occasions, ou que des individus différents peuvent être dans le même état psychologique. L'une des fonctions assignées aux concepts est de rendre compte de cette stabilité cognitive intra- et interindividuelle. C'est également en faisant appel aux concepts que l'on cherche à expliquer les relations inférentielles entre les pensées d'un individu et les propriétés de productivité et de systématicité de celles-ci. Le débat contemporain porte donc en particulier sur ce que doivent être les concepts pour pouvoir remplir ces rôles et sur les conditions qu'un sujet doit satisfaire pour posséder un concept donné.

Selon la théorie classique, un concept est défini par un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes que doit satisfaire un objet pour tomber sous le concept, et posséder un concept revient à connaître cette définition. Wittgenstein(2) a soutenu, contre l'approche classique, que de nombreux concepts, comme celui de jeu, étaient caractérisés non par des conditions nécessaires et suffisantes, mais par des « ressemblances de famille », ou des ensembles de similitudes partielles. La psychologue E. Rosch, a développé, sous le nom de théorie des prototypes, une approche voisine selon laquelle un concept est représenté mentalement par un prototype réunissant les propriétés les plus typiques des objets tombant sous le concept. L'appartenance d'un objet à un concept est alors fonction de son degré de ressemblance au prototype. Plusieurs philosophes, dont Fodor(3), ont toutefois reproché à la théorie des prototypes de ne pas permettre de rendre compte de la compositionnalité des représentations mentales et linguistiques. À la théorie classique s'oppose également l'approche causale développée par H. Putnam et T. Burge (voir extemalisme / internalisme), qui soulignent que le sens de nombreux concepts n'est pas assimilable à une définition connue des utilisateurs, mais comporte une dimension indexicale et dépend en partie des relations causales qu'un individu entretient avec son environnement physique ou sociolinguistique.

Élisabeth Pacherie

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Frege, G., Écrits logiques et philosophiques, trad. C. Imbert, Seuil, Paris, 1971.
  • 2 ↑ Wittgenstein, L., Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1961.
  • 3 ↑ Fodor, J. A., Concepts, Clarendon Press, Oxford, 1998.
  • Voir aussi : Peacocke, C., A study of Concepts, MIT Press, Cambridge (MA), 1992.

→ contenu, externalisme / internalisme, représentation, sémantique