réalité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin res, « chose matérielle, corps, être, fait ». L'usage philosophique du concept déborde largement son étymologie. En allemand : Realität, de real, « réel » ; Wirklichkeit, plutôt traduit par « effectivité ».


Si la supposition pratique de la réalité est toujours première, comme ce qui nous résiste dans l'appréhension sensible, penser la réalité se heurte à l'impossibilité d'une définition intrinsèque. Même si elle suppose conceptuellement l'identité, la permanence et l'univocité, la réalité ne peut être invoquée que sur le fond d'une différence première entre elle et ce dont on la distingue (apparence, phénomène, simulacre, rêve, illusion, idée ou idéal...), ce qui soulève une difficulté, puisque ce qui n'est pas la réalité et se confond parfois avec elle doit participer de celle-ci pour exiger cette discrimination.

Philosophie Générale, Philosophie Cognitive

L'être tel qu'il est pour nous déterminé dans l'existence, par opposition d'une part à ce qui n'est pas vraiment ou ce qui n'est pas au même degré ontologique éminent, et d'autre part à ce qui demeure un concept.

C'est moins la nature de la réalité qui fait problème que le statut ontologique de ce qui nous en sépare et qui contribue à sa définition et à sa désignation, comme si on devait nécessairement l'aborder par son contraire.

Cette difficulté provient de ce qu'on attribue au concept de réalité une finalité descriptive, comme ensemble des étants déterminés, alors qu'il relève toujours également d'une visée normative de discrimination au sein de ce qui apparaît, même quand la norme se présente comme une description. Cette distinction permet de poser la problématique propre à ce concept. L'extériorité supposée du langage et du réel, le premier devant être adéquat à la description du second, fait de la réalité une hypostase préconçue. À l'inverse, supposer que la réalité n'est pas indépendante de son élaboration dans le discours permet d'établir une ontologie dont les conditions de possibilité demandent à être explicitées autant qu'il est possible, même si le constructivisme ne peut être absolu sous peine de faire de la réalité une fiction. Entre la constitution intégrale et la croyance au réel immédiat, il n'y a de réalité qu'à l'intersection du monde et du logos.

Raynald Belay

Notes bibliographiques

  • Cassirer, E., La philosophie des formes symboliques, Minuit, Paris, 1972.
  • Descartes, R., Méditations métaphysiques, PUF, Paris, 1992.
  • Fichte, J. G., Doctrines de la science (1801-1802), Vrin, Paris, 1987.
  • Goodman, N., Manières de faire des mondes, J. Chambon, Paris, 1992.
  • Kant, E., Critique de la raison pure, PUF, Paris, 2001.
  • Ricœur, P., le Conflit des interprétations, Du verbe à l'action, Seuil, Paris, 1970.

→ apparence, concept, herméneutique, ontologie, phénomène

Psychanalyse

« Dans le monde des névroses, c'est la réalité psychique qui joue le rôle dominant »(1), aussi le névrosé « doit avoir, en quelque façon, raison »(2), dans ses symptômes et ses fantasmes. Reconnaître la « réalité psychique », différente de la réalité matérielle, fonde la psychanalyse comme discipline scientifique autonome.

Abandonnant la théorie de la séduction, Freud reconnaît que « dans l'inconscient il n'y a pas d'indice de réalité, de sorte qu'on ne peut différencier la vérité de la fiction investie d'affect » (lettre à W. Fliess du 21 septembre 1897)(3) : il existe une réalité psychique, dont l'efficience est spécifique. Néanmoins, réalités psychique et extérieure sont co-construites, dans la phylo- et l'ontogenèse, ainsi y a-t-il une ambiguïté intrinsèque de la « réalité ».

Le moi, cependant, « est la partie du ça modifiée sous l'influence directe du monde extérieur »(4) ; de même, le moi-plaisir se transforme en moi-réalité, l'épreuve de réalité modifiant le principe de plaisir en principe de réalité, par l'élaboration de séparations : « On reconnaît [...] comme condition pour la mise en place de l'épreuve de réalité que des objets aient été perdus qui autrefois avaient apporté une satisfaction réelle (real) »(5).

Selon Freud, la réalité psychique, inconsciente, n'est ni plus ni moins inconnaissable que la réalité du monde extérieur, puisque la conscience appréhende l'une et l'autre dans la méconnaissance qui lui est inhérente, et dans les limites et les formes que l'usage de la langue lui impose. Dénommant « réel » ce qui échappe à l'ordre symbolique, Lacan construit une autre perspective, où la réalité psychique s'identifie presque à celle de la langue.

Mazarine Pingeot et Michèle Porte

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse (1916-1917), G.W. XI, trad. « Introduction à la psychanalyse », Payot, Paris, 2001, p. 347.
  • 2 ↑ Freud, S., « Trauer und Melancholie » (1915), G.W. X, trad. « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie, OCP XIII, PUF, Paris, 1988, p. 264.
  • 3 ↑ Freud, S., Briefe an Wilhelm Fliess (1887-1904). Ungekürzte Ausgabe. Herausgegeben von Jeffrey Moussaieff Masson.
    Deutsche Fassung von Michael Schröter, S. Fischer, Francfort, 1986, p. 284.
  • 4 ↑ Freud, S., « Das Ich und das Es, trad. le Moi et le ça », in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2001, p. 237.
  • 5 ↑ Freud, S., « Die Verneinung » (1925), G.W. XIV, trad. « la Dénégation », in Résultats, idées, problèmes II, PUF, Paris, 2002, p. 138.

→ angoisse, ça, fantasme, imaginaire, inconscient, moi, névrose, psychose et perversion, objet, principe de plaisir / réalité, pulsion, réel, symbolique