science

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin scientia, de scire, « savoir ».

Philosophie Générale, Philosophie Cognitive, Philosophie des Sciences

Savoir ou connaissance clair(e) et certain(e) de quelque chose, fondé(e) soit sur des principes évidents et des démonstrations, soit sur des raisonnements expérimentaux, ou encore sur l'analyse des sociétés et des faits humains.

On distingue, à partir de ce triple fondement, sous le terme général de « science », les sciences exactes (les mathématiques et les sciences mathématisées ; par exemple, la physique théorique), les sciences physico-chimiques et expérimentales (sciences de la nature au sens large de sciences de la matière et de la vie, comprenant toutes les disciplines relevant de l'étude de l'Univers et du monde, et toutes celles qui relèvent de la biologie et de la médecine) et, enfin, les sciences humaines, c'est-à-dire tous les discours théoriques à visée explicative concernant l'homme, son histoire, son comportement linguistique, psychologique, social ou politique.

La science, dans ce sens général, s'oppose à l'opinion, assertion par nature arbitraire. On peut penser cette opposition soit comme celle de deux contraires (il y a une rupture entre l'opinion et la science ; l'opinion est la négation de la science), soit comme le rapport de deux opposés relatifs marqué par une subordination de l'opinion à la science (cette dernière peut se confronter à l'opinion par une commune mesure qui est le procès de connaissance ; l'opinion n'est qu'une privation de science, elle est perfectible et peut se transformer en science). Ces deux manières de concevoir le rapport de la science et de l'opinion (soit comme deux contraires, soit comme deux opposés relatifs) n'ont cessé d'être concurrentes dans la philosophie des sciences. La formule de Bachelard, dans la Formation de l'esprit scientifique : « L'opinion pense mal ; elle ne pense pas », creuse, de manière radicale, le fossé entre la science et l'opinion(1). Cette contradiction entre l'opinion et la science est le point de départ d'une théorie de l'esprit scientifique conçue comme une épistémologie de l'obstacle ou de la rupture : l'esprit doit se détourner de l'expérience première, de la perception et des représentations communes, naïvement réalistes. Dès la philosophie grecque, ces deux conceptions sont présentes et ne cessent d'être concomitantes jusqu'aux discours contemporains sur le « fossé » pour les uns, sur le « pont » pour les autres, qui sépare ou relie la science et l'opinion.

Platon soutient qu'il faut s'arracher de la doxa pour être raisonnable et devenir un savant, mais il tend à penser que la différence entre science et opinion n'est pas irréductible et que le travail de la philosophie consiste à distinguer des degrés de certitude dans l'opinion de manière à transformer l'opinion vraie en science par un raisonnement de causalité(2). Les opinions vraies sont, en effet, des connaissances fragmentaires et isolées. La science a plus de valeur que l'opinion vraie, car elle est un enchaînement de connaissances qui confère l'unité au savoir, elle est recherche des causes et des principes. Pour Aristote aussi, la science vise à connaître les causes et les principes ; la science ne peut s'acquérir par la sensation, car celle-ci ne porte pas sur l'universel, la science est connaissance de la cause ; or, la cause n'est atteinte que par une démonstration rationnelle qui s'appuie sur des notions universelles(3). Le critère de démarcation de la science vis-à-vis de tout autre discours est donc celui de l'universel et de la causalité. Cependant, pour Aristote, la science ne se distingue pas de la métaphysique ; au contraire, la plus haute science est la science du Souverain Bien.

Le premier qui a cherché à fournir un critère logique de démarcation entre la science et la métaphysique est Kant(4). Après avoir critiqué le scepticisme de Hume, qui faisait de la relation de causalité un produit de l'imagination et du principe d'accoutumance, Kant soutient que, si la métaphysique résulte, en effet, d'un fonctionnement à vide de la raison, qui prétend tirer d'elle-même des jugements d'existence (« Dieu existe », « l'âme est immortelle », etc.), la connaissance scientifique contient néanmoins, en plus des données de l'expérience, des jugements universels et nécessaires tirés de la seule raison. Par exemple, quand on dit : « L'élévation de la température de l'eau est cause de l'ébullition », on porte un jugement de causalité qui, outre deux faits d'expérience, contient l'affirmation d'un lien de causalité entre eux, lien qu'on trouve non dans l'expérience, mais dans les catégories de l'entendement qui permettent de l'appréhender. Ce faisant, Kant fournit un critère de démarcation entre la science et la métaphysique : il admet, avec Hume, que la connaissance scientifique de la réalité a, contrairement à la métaphysique, un contenu d'expérience, tout en affirmant contre lui que la science ne s'y réduit pas. Pour Kant, les théories scientifiques se définissent comme des systèmes dans lesquels il est fait un usage légitime de la raison, alors que la spéculation métaphysique ne produit que des illusions.

Ce problème de la démarcation a été repris et précisé par Popper(5). Alors que Kant cherchait un critère logique différenciant la science de la métaphysique, celui-ci veut établir un critère méthodologique : il se demande comment la science procède pour rendre objectifs ses résultats. Selon lui, le savant construit des théories dont il tente sans cesse de falsifier les conséquences. Autrement dit, pour qu'une théorie soit reconnue comme scientifique, il faut qu'elle possède ce caractère distinctif qu'est la falsifiabilité : une théorie n'est scientifique que si ses énoncés sont susceptibles d'être soumis à des tests expérimentaux, elle doit pouvoir être réfutée par l'expérience. Cela veut dire que les énoncés scientifiques concernent des événements réguliers et reproductibles de manière que quiconque puisse les soumettre à des tests, l'objectivité des énoncés scientifiques résidant dans le fait qu'ils peuvent être intersubjectivement soumis à des tests. Ainsi, il ne peut y avoir en science d'énoncés ultimes, d'énoncés qui ne puissent en principe être réfutés par la falsification de certaines des conclusions que l'on peut en déduire. Cela ne signifie pas que chaque énoncé scientifique ait été en fait soumis à des tests, mais seulement que tout énoncé puisse l'être ; autrement dit, il n'y a aucun énoncé scientifique que l'on doive accepter comme vrai, parce qu'il ne semble pas possible, pour des raisons logiques, de le soumettre à des tests.

Véronique Le Ru

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Bachelard, G., la Formation de l'esprit scientifique, Vrin, Paris, 1938.
  • 2 ↑ Platon, Ménon, 97 c-98 c, trad. A. Croiset, Les Belles Lettres, Paris, 1923.
  • 3 ↑ Aristote, Métaphysique, A, 2, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1966 ; Seconds Analytiques, I, 31, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1962.
  • 4 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, Paris, 1968.
  • 5 ↑ Popper, K., la Logique de la découverte scientifique, trad. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Payot, Paris, 1973.

→ causalité, expérience, falsifiabilité, métaphysique, objectivation, opinion, platonisme

→  « Philosophie et science »




sciences sociales

Sciences Humaines

→  « Y a-t-il des sciences de l'homme ? »