énergie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec energeia, « force en acte », opposée à la dunamis (« force en puissance »). Du verbe energein, « agir, produire ». Composé à partir du préfixe en, « dans », et du substantif ergon, « action, travail ».


C'est au cours des xviie et xviiie s. que le concept d'énergie fut progressivement introduit en mécanique, même s'il n'y tint longtemps qu'un rôle subalterne. Il était toujours associé à un principe de conservation de portée limitée, comme celui de conservation des « forces vives », opposé par Leibniz au principe cartésien de conservation de la quantité (scalaire) de mouvement.

Physique

Mesure de la capacité d'occasionner des changements. Quantité scalaire universellement conservée dans les processus physiques. En mécanique quantique : observable particulière telle que toute autre observable commutant avec elle est une « constante du mouvement ».

Le mot « énergie » a, semble-t-il, été introduit par Jean Ier Bernoulli en 1717, avec, pour définition, le produit de la force par le déplacement (c'est-à-dire, en termes modernes, le « travail »), et avec, pour corrélat, un principe de conservation valant pour les travaux virtuels de la statique. Dès cette époque, le principe de conservation de l'énergie se démarquait de son modèle aristotélicien qu'est la clause d'immutabilité de la substance. Le principe de conservation de l'énergie, comme le principe de conservation de la matière, concernait en effet une quantité interchangeable plutôt qu'une identité singulière. Kant fit un compromis entre les deux types de clauses d'invariance dans sa première analogie de l'expérience, en indiquant, d'une part, que le principe de permanence prescrit la stabilité de l'objet individuel, et, d'autre part, qu'il a pour répondant en mécanique la conservation de la quantité de matière.

Ce n'est cependant qu'au milieu du xixe s. que l'énergie devint le concept central de la physique, en tant que quantité strictement conservée dans les processus faisant intervenir conjointement des effets gravitationnels, élastiques, cinétiques, électriques, magnétiques et thermiques. Le plus grand pas dans cette direction fut accompli par l'affirmation que la conservation de l'énergie vaut partout et toujours, jusques et y compris dans des cas où il s'avère impossible d'obtenir la conversion intégrale d'une forme de la capacité à produire des changements en une autre. Ce pas était lié à l'élaboration de la thermodynamique, science des rapports entre travail et chaleur. Si J. Joule avait montré, en 1847, la possibilité d'une transformation complète du travail en chaleur (niant ainsi que de l'énergie mécanique soit susceptible de disparaître à proprement parler), on savait depuis S. Carnot (1824) que la transformation inverse, de la chaleur en travail, ne pouvait généralement être complète. Une partie de la chaleur était, en effet, nécessairement dépensée en pure perte par transfert de la source chaude à la source froide de la machine thermique. Mais, selon H. Helmholtz (1847) et R. Clausius (1850), la convertibilité imparfaite n'empêchait pas d'admettre la conservation de la quantité totale chaleur + travail, énoncée sous la forme du premier principe de la thermodynamique. Tout ce qu'il fallait faire, pour tenir compte du défaut de réciprocité entre la conversion chaleur-travail et la conversion travail-chaleur, était de compléter le premier principe par un second principe de la thermodynamique, exprimant la directionnalité des transformations et, en particulier, l'impossibilité d'un passage spontané de chaleur de la source froide à la source chaude. L'une des conséquences les plus intéressantes de cette généralisation du principe de conservation de l'énergie fut la remise en cause de toutes celles des interprétations antérieures de processus mécaniques, comme celle de certaines variétés de chocs de corps matériels par Newton, qui supposaient de véritables pertes d'énergie. Désormais, les « pertes » n'étaient plus considérées que comme des dissipations, c'est-à-dire des conversions d'énergie mécanique en énergie thermique.

Cette extension indéfinie du domaine de validité du principe de conservation de l'énergie suscita un projet d'unification théorique dans deux directions concurrentes : l'un tendait à généraliser la représentation mécanique ; et l'autre, à atteindre une unité purement formelle et quantitative indépendamment des modèles mécaniques. Le premier, atomiste, était la théorie cinétique ; et le second, continuiste, était l'énergétique. La théorie cinétique établissait une équivalence entre la chaleur et l'énergie cinétique moyenne des molécules composant les corps matériels. Elle se prolongea, avec L. Boltzmann (1877), en une interprétation probabiliste du second principe de la thermodynamique. Les partisans de l'énergétique, comme W. Ostwald (1895) et P. Duhem, se proposaient, à l'inverse, de réduire la matière à des « capacités » et distributions spatiales de l'énergie, seule réalité, selon eux, parce qu'elle est agissante.

Au xxe s., l'universalité du principe de conservation de l'énergie fut encore amplifiée, en même temps que se révélait de mieux en mieux son caractère plus fonctionnel que substantiel. L'équivalence de l'énergie et de la masse fut établie par A. Einstein, en 1905, dans le sillage de sa théorie de la relativité restreinte. Elle préludait à une synthèse formelle de la discontinuité atomiste et du continuisme énergétique dans le cadre de la théorie quantique des champs. Les principes généraux de la physique quantique conduisirent, en outre, à retirer à l'énergie son rôle traditionnel de propriété d'objet ou de réalité autonome, et à lui assigner le statut d'observable, c'est-à-dire de détermination relative à la classe de procédures expérimentales utilisée pour l'évaluer. L'énergie était corrélativement assujettie à une relation d'« incertitude », ΔE.Δt = h/4π, qui limite d'autant plus sa détermination précise que la durée de l'état correspondant est brève. L'application de cette relation d'« incertitude » conduisait à prédire que l'« énergie de point zéro » du vide (quantique) n'était pas nulle, et à se représenter les effets de cette énergie de fond en termes de créations éphémères de paires virtuelles particule-antiparticule. En raison de la relation spécifique qu'elle entretient avec le temps, l'observable énergie occupe une position exceptionnelle en physique quantique. Elle est le générateur de l'opérateur d'évolution, de telle sorte que seules les observables qui ne commutent pas avec elle subissent des changements. Sa conservation est, à partir de là, une conséquence triviale du fait qu'elle commute avec elle-même.

Il existe un point de vue apte à embrasser les conceptions classique, relativiste, et quantique de l'énergie. C'est celui du théorème d'E. Noether (1919), selon lequel le principe de conservation de l'énergie découle de l'invariance des lois sous l'effet d'une translation générale dans le temps. Appliqué à la physique classique et relativiste, ce théorème établit que l'énergie est l'une des « intégrales premières », ou quantités conservées, du mouvement. Mais, appliqué à la physique quantique, le théorème de Noether confère à l'énergie le rang d'observable conservée de référence. Non seulement : a) chaque valeur propre de l'observable énergie a une probabilité stable au cours du temps d'être obtenue comme résultat de mesure ; mais encore : b) toutes les autres observables dont les valeurs propres ont une probabilité stable d'être mesurées commutent avec l'observable énergie.

Symétries et principes de conservation, parmi lesquels la symétrie temporelle et le principe de conservation de l'énergie occupent une place privilégiée, s'avèrent, en fin de compte, beaucoup plus généraux que les paradigmes théoriques successifs qui les incorporent. Le degré d'abstraction croissant des théories physiques doit, dans ces conditions, être considéré comme un progrès épistémologique, car, grâce à cela, les théories laissent de mieux en mieux transparaître leur armature constitutive de symétries au détriment des contenus toujours discutables de leurs modèles associés.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Harman, P. M., Energy, Force and Matter : the Conceptual Development of Nineteenth Century Physics, Cambridge University Press, Cambridge, 1982.
  • Hoffmann, E. J., Concept of Energy : Inquiry Into Origins and Applications, Ann Arbor Science Publishers, 1977.
  • Steffens, H. J., James Prescott Joule and the Concept of Energy, Science History publications, 1975.
  • Theobald, D. W., The Concept of Energy, Spon, 1966.

→ entropie, invariance, observable, symétrie, thermodynamique

Psychanalyse

Tout processus psychique, qu'il crée, maintienne ou modifie des formations psychiques, dépense de l'énergie : l'hypothèse est fondatrice en psychanalyse. L'énergie psychique sexuelle est désignée par le terme de « libido ». La théorie des pulsions décrit comment la libido se constitue à partir du corps propre, et comment ses conflits avec l'énergie d'autres pulsions (d'autoconservation et du moi, puis de mort) créent les formations psychiques. Les points de vue économique, topique et dynamique envisagent, le premier, les ordres de grandeur des quantités d'énergie investies (« facteur quantitatif ») ; le deuxième, leur lieu d'investissement ; le troisième, leurs conflits et leur devenir.

Lier les processus psychiques à des forces sous-jacentes est fréquent au xixe s. (Herbart, 1823 ; Lotze, 1852). Le lien avec les principes de la thermodynamique parait dans l'œuvre de Fechner(1), les termes de « psychasthénie » (Béard, 1869), et de « neurasthénie » (Janet, 1903), un peu plus tard. Qualifier une part de l'énergie psychique comme sexuelle, et élucider le psychisme comme dynamiques de conflits entre cette énergie et d'autres est l'originalité de Freud – qui rejoint la tradition où la puissance d'éros est soulignée, d'Empédocle à Bruno.

Les difficultés conceptuelles de la thermodynamique se retrouvent en psychanalyse. Elles ont conduit nombre d'auteurs à abandonner la théorie des pulsions (écoles anglo-saxonnes) ou à en proposer une lecture structurale (Lacan). L'intelligibilité que la dynamique qualitative confère à la thermodynamique permet de prévoir que l'énergétique freudienne bénéficie de ces avancées et soit formulée de façon satisfaisante(2).

Michèle Porte

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Fechner, G. T. (1860), Elemente der Psychophysik, Leipzig, Breitkopf und Härtel.
  • 2 ↑ Porte, M., la Dynamique qualitative en psychanalyse, PUF, Paris, 1994.

→ affect, dynamique, économie, libido, métapsychologie, processus primaire et secondaire, pulsion, sexualité, topique