invariance

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Mathématiques, Physique

Propriété consistant à rester inchangé sous une opération donnée. Indépendance vis-à vis du système de coordonnées. Caractéristique des formes qui restent indifférentes aux transformations faisant partie d'un ensemble doté de la structure de groupe (ces formes sont appelées les invariants du groupe de symétrie correspondant).

Des clauses d'invariance sont à la base de toutes les théories physiques. Elles permettent de remonter à des quantités conservées. On peut ainsi montrer que : imposer l'invariance des lois d'évolution vis-à-vis d'une translation globale dans le temps implique la conservation de l'énergie ; imposer l'invariance des lois vis-à-vis d'une translation globale dans l'espace implique la conservation de la quantité de mouvement ; et imposer l'invariance des lois vis-à-vis d'une rotation globale dans l'espace implique la conservation du moment cinétique. D'autres clauses d'invariance, valant localement, ou dans un espace abstrait, ont permis de dériver des règles de conservation pour de nouvelles variables n'ayant aucun équivalent classique, comme l'« isospin » ou l'« étrangeté ».

Le lien qui unit invariance et règles de conservation a été établi par le théorème de E. Noether (1918). La procédure utilisée pour démontrer ce théorème consiste à imposer des symétries au lagrangien dont l'intégrale dans l'espace représente l'action, sachant que les lois d'évolution pourront en être déduites par le biais d'un principe de moindre action.

Certaines clauses d'invariance surajoutées conduisent par ailleurs à formuler des lois plus riches et plus exhaustives. Imposer l'invariance de la forme des lois de la mécanique quantique par la transformation de Poincaré-Lorentz de la théorie de la relativité restreinte a, par exemple, conduit à la théorie quantique relativiste de P. A. M. Dirac, puis aux théories quantiques des champs.

L'imposition de clauses d'invariance est en résumé une source majeure dans l'élaboration des lois physiques, et une méthode efficace sur la voie de leur unification.

La physique a hérité de la philosophie de Parménide, via l'intermédiaire modérateur de Platon et d'Aristote, une tendance à considérer l'immutabilité d'une forme vis-à-vis de tout changement de point de vue personnel, spatial ou temporel, comme la marque même d'une réalité transcendante. La recherche des invariants a été à partir de là confondue avec une quête de représentation du réel tel qu'il est, indépendamment de la connaissance qu'on peut en avoir. Ce passage automatique de l'invariant à une réalité indépendante relève pourtant d'une faute de logique élémentaire : l'extraction d'invariants vis-à-vis des présentations expérimentales est bien une condition nécessaire de l'accès à une hypothétique réalité indépendante pré structurée, mais elle n'en constitue pas une condition suffisante. Il se peut que l'invariance révèle non pas la structure d'une réalité extérieure pré déterminée, mais seulement la forme d'un mode stable de relation cognitive.

C'est ce genre de faute qu'a voulu éviter Kant en établissant une distinction de principe entre l'objet et la chose en soi. L'objet se trouve chez lui constitué par des clauses d'invariance des relations entre phénomènes, comme le principe de permanence de la substance ou le principe de succession suivant une règle ; et la chose en soi opère comme énigmatique « fondement », ou comme focus imaginarius de la recherche. L'épistémologie contemporaine ne devrait pas oublier cette prescription de bon sens, dont le pouvoir thérapeutique face aux fréquentes illusions des chercheurs vaut indépendamment de certains aspects fixistes de la philosophie de Kant battus en brèche par les révolutions scientifiques du xxe siècle. Il lui suffirait pour cela d'éviter de se laisser fasciner par les invariants qui apparaissent à l'issue d'un processus de recherche, et de se concentrer sur les opérations mêmes sous lesquelles une invariance est obtenue.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Goldstein, H., Classical Mechanics, Addison-Wesley, 1980.
  • Van Fraassen, B., Lois et symétries, Vrin, Paris, 1995.

→ objectivation, particule, relativité, symétrie