observable

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin ob- (préfixe), « vers », « en face », et du verbe servare, « préserver », « se tenir attentif ».

Physique

Opérateur hermitien(1) doté d'un ensemble complet de vecteurs propres et de valeurs propres. Un opérateur de ce type est associé en mécanique quantique à toute quantité expérimentalement mesurable. Ses valeurs propres coïncident avec le spectre des valeurs pouvant être obtenues lors d'une mesure de la quantité correspondante.

La naissance du concept d'observable remonte au début des années 1920, lorsqu'il est apparu que l'image de l'atome de Bohr, constitué d'un noyau central et d'électrons corpusculaires en orbite stationnaire quantifiée, était inadéquate. W. Heisenberg proposa alors de faire l'économie non seulement de cette image mais de toute autre représentation en physique atomique. Il s'agissait pour lui de reformuler la théorie quantique de façon à n'y faire figurer que des quantités observables, c'est-à-dire les seules intensités et fréquences des raies d'émission-absorption de rayonnement électromagnétique par les électrons des atomes. Ce projet fut réalisé en 1925, avec la mécanique matricielle. Plus tard, entre 1927 et 1930, le concept d'« observable » acquit son statut définitif dans la formalisation de la mécanique quantique établie par P. A. M. Dirac : il s'agissait d'opérateurs particuliers dans un espace de Hilbert, associés à des quantités mesurables. L'incompatibilité des mesures de certaines paires de quantités s'exprimait formellement par la non-commutativité du produit des observables correspondantes.

Le choix du mot « observable » et son origine vraisemblablement positiviste (Heisenberg fait remonter l'idée de « réduction aux observables » à une conversation de 1924 avec le physicien positiviste O. Laporte) ont très tôt suscité des critiques. Il était déjà curieux d'appeler « observable », avec ses connotations d'observation passive, ce qui aurait dû se nommer « mesurable », avec des connotations d'expérimentation active. Bohr n'accordait-il pas une importance cruciale au rôle que joue la conception de l'appareil de mesure dans la définition des variables mesurées ? Mais il ne s'agissait là que d'une première objection. Pour Einstein, il était peu raisonnable de fonder une théorie sur une idée préliminaire de ce qui est accessible à l'observation, puisque c'est la théorie qui délimite en bonne partie le champ de ce qui est observable (par les anticipations qu'elle inscrit dans les appareillages, et par les interprétations qu'elle conduit à donner des résultats de mesure). Cette objection, bien comprise par Heisenberg, a eu pour conséquence dès 1927 la formulation des relations d'indétermination qui mettent en évidence les limites fixées par la théorie quantique elle-même à l'« observabilité » de certaines paires de quantités.

J. S. Bell a développé par la suite une attaque frontale contre le concept heisenberguien d'observable, au nom d'une vision très différente de la théorie physique. Pour Bell, on ne devrait pas limiter une théorie à prédire les valeurs prises par des ob-serv-ables relatives à une classe de procédures expérimentales ; on devrait plutôt chercher à lui faire décrire des « étants » absolus (be-ables en anglais). Ce dernier programme n'a toutefois la possibilité de se réaliser pleinement que par le biais des théories à variables cachées, dont la structure reste en partie arbitraire en raison de son manque constitutif de correspondant expérimental. Il s'agit là d'une difficulté majeure : que signifie décrire un objet, voire un « étant », si ce n'est faire référence à l'invariant d'un ensemble de présentations en principe accessibles à l'expérience ?

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Un opérateur est dit hermitien s'il est égal au conjugué complexe de son transposé.
  • Voir aussi : Bell, J. S., Speakable and Unspeakable in Quantum Mechanics, Cambridge University Press, Cambridge, 1987.
  • Heisenberg, W., la Partie et le tout, Albin Michel, Paris, 1972.
  • Popper, K., la Théorie quantique et le schisme en physique, Hermann, Paris, 1996.

→ mesure, observation, quantique