observation

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin observatio : ob- (préfixe), « vers », « en face », et du verbe servare, « préserver », « se tenir attentif ».


Le contenu du concept d'observation dépend de ses rapports complexes avec celui d'expérimentation. L'observation est généralement opposée à l'expérimentation, comme un procédé passif à un procédé actif de recherche. Dans l'observation, on se borne à constater des phénomènes. Dans l'expérimentation, on suscite des phénomènes par une activité ordonnée utilisant des moyens technologiques. P. Duhem ajoute à cela que, face à l'observation qui est un simple relevé événementiel, l'expérimentation suppose à la fois un guidage théorique de la mise en place des instruments, et une interprétation théorique de ce qui arrive. L'opposition a toutefois rarement été poussée jusqu'à son terme.

Épistémologie, Physique

Examen des phénomènes tels qu'ils se présentent aux sens. Inspection des relations spontanément occurrentes entre phénomènes.

Claude Bernard demande ainsi de se souvenir que « l'expérience n'est au fond qu'une observation provoquée ». Un physicien comme Bohr s'est quant à lui cru autorisé à parler d'« observation » dans des circonstances où il aurait été légitime de se référer à l'« expérimentation » ou à la « mesure ».

Ce dernier emploi du mot « observation » n'est d'ailleurs pas gratuit. Bohr en tire une leçon importante pour son interprétation de la mécanique quantique. D'un côté, le phénomène microscopique est selon lui une totalité dans laquelle il est impossible de faire la part des contributions de l'instrument d'exploration et du milieu exploré. Mais, d'un autre côté, insiste-t-il, le concept même d'observation exige une distinction entre objet et appareil de mesure. Une telle dialectique, alternant un holisme de principe et un dualisme constitutif de l'acte de connaître, a abouti à la notion controversée de complémentarité. L'indissociabilité du phénomène et de son contexte instrumental de manifestation a pour conséquence que deux déterminations obtenues sous des conditions expérimentales incompatibles sont elles-mêmes incompatibles : c'est la composante d'exclusivité mutuelle de la complémentarité. Le dualisme impliqué par le concept d'observation conduit cependant à considérer chacune des déterminations précédentes comme une information à propos d'un certain objet fonctionnellement distinct de l'appareillage. Seule une conjonction des informations de ce type, indique Bohr, peut épuiser ce qui est susceptible d'être connu de l'objet. C'est la composante de nécessité conjointe de la complémentarité.

Les intersections multiples entre les concepts d'observation et d'expérimentation incitent à se demander s'il n'existe pas davantage de parenté entre eux qu'il n'y paraît. L'expérimentation doit-elle être tenue pour une observation contrôlée ? Ou bien faut-il au contraire élever l'observation au rang d'expérimentation élémentaire ? C'est la seconde option qui apparaît la plus riche de conséquences.

D'une part, à l'instar de l'expérimentation, l'observation scientifique ne va pas sans arrière-plan théorique. Ses circonstances de réalisation sont en effet établies par référence à une anticipation théorique, et son interprétation fait appel à des présupposés théoriques minimaux.

D'autre part, les conditions technologiques et instrumentales de l'observation scientifique ne peuvent pas être plus négligées que celles de l'expérimentation. Il suffit de penser à l'astronomie. L'observation astronomique requiert un télescope équipé d'un système de pointage et de suivi angulaire. L'interprétation de telle source lumineuse comme planète, comme étoile ou comme galaxie lointaine, s'appuie de surcroît sur des critères d'identification dépendant de théories mécaniques, optiques, spectroscopiques, thermodynamiques, etc. Il est vrai qu'une observation astronomique n'implique pas d'intervention expérimentale sur l'objet observé. Mais elle repose pour son accomplissement et pour son interprétation sur l'extrapolation d'expérimentations physiques effectuées dans un laboratoire terrestre.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Bernard, C., Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Champs-Flammarion, Paris, 1984.
  • Duhem, P., La théorie physique, Vrin, Paris, 1995.

→ expérience, expérimentation, mesure, observable, physique, science

Épistémologie, Philosophie Cognitive, Philosophie des Sciences

Acte d'examiner avec attention une réalité quelconque en vue de constater ce qu'elle est, et résultat de cet acte, c'est-à-dire compte rendu prétendant être une description fidèle de la réalité étudiée. Dans une présentation classique(1) (à divers égards critiquable) :

– 1. L'observation s'oppose à l'interprétation et à l'explication considérées en bloc. La première est en effet supposée (a) procéder d'une attitude « neutre », dépourvue de tout préjugé ou de toute idée préconçue vis-à-vis de l'objet d'étude ; (b) se borner à prélever telles quelles les données sensibles et à les consigner sans les modifier aucunement ; et (c) aboutir ainsi à un ensemble d'énoncés d'observation définitivement irrécusables constituant pour la science un acquis définitif. Au contraire, les secondes (a) font, quant à elles, appel à l'imagination et à des idées proprement humaines ; (b) rajoutent donc quelque chose au donné observationnel (par exemple, elles intègrent les observations disponibles au sein d'hypothétiques scénarios théoriques mettant en jeu des entités et des processus inobservables) ; et (c) sont dans cette mesure des ensembles de conjectures éventuellement très plausibles mais en principe toujours révisables.

– 2. L'observation s'oppose à l'expérimentation, sous au moins deux angles, (a) Comme le passif à l'actif, au sens où l'observation est constat des faits tels qu'ils se présentent naturellement à l'homme, tandis que l'expérimentation est intervention active, création de situations artificielles et modification sélective délibérée de certaines conditions naturelles en vue de déterminer quels facteurs contribuent à produire tel effet et selon quels processus (expérimentation = ensemble d'observations provoquées), (b) Comme le non-outillé à l'outillé, l'observation étant uniquement conduite au moyen des cinq sens, tandis que l'expérimentation recourt en outre à des dispositifs instrumentaux spéciaux plus ou moins élaborés fournissant des informations qui resteraient inaccessibles à s'en tenir à l'appareil sensoriel humain.

De nombreuses critiques ont historiquement été adressées à la présentation classique précédente.

(1) On a ainsi souligné non seulement l'impossibilité pratique, mais de plus le caractère en principe inintéressant, d'un observateur absolument « neutre », conçu sur le modèle d'un appareil enregistreur stockant tel quel, sans rien omettre ni rajouter, tout ce qui se trouve dans son champ. L'observation est de fait toujours orientée par une nébuleuse de croyances, d'hypothèses et d'attentes plus ou moins explicites et précises qui conduisent à sélectionner comme pertinents et à rejeter corrélativement comme anecdotiques (voire à ne pas remarquer du tout) certains aspects de la réalité (même s'il peut être utile de distinguer des observations communes orientées par un ensemble de présupposés vagues et implicites, et des observations méthodiques qui, telles celles qui interviennent dans la pratique scientifique, sont systématiquement rapportées à des questions explicites, à des hypothèses théoriques et à des conditions contrôlées d'apparition). En outre, l'observation n'est instructive qu'en tant qu'elle est mise en relation avec un horizon de questions théoriques, plus précisément en tant que les observations produites sont érigées en corroborations / infirmations de conjectures théoriques existantes ou suggèrent des hypothèses nouvelles (noter « tout ce que l'on observe » sans connexion à aucun arrière-plan théorique aboutirait à une rhapsodie d'items « morts » sans grand intérêt)(2).

(2) Il s'avère extrêmement difficile de séparer nettement et dans l'absolu ce qui relève de la « pure observation » d'une part (du « donné », du « fait brut », etc.), et de l'interprétation théorique d'autre part. On admet à l'heure actuelle que les faits sont toujours plus ou moins « chargés de théorie », c'est-à-dire liés (d'une manière à spécifier) à un système de croyances théoriques humaines(3). D'où un risque – particulièrement sérieux si l'on adhère, comme beaucoup d'auteurs contemporains, à la thèse du holisme épistémologique (qui, dans sa version radicale, affirme que tous les énoncés disponibles, qu'ils soient observationnels ou théoriques, sont essentiellement interdépendants quant au sens comme à la référence(4)) : même les énoncés d'observation le plus apparemment élémentaires et incontestables à une époque donnée pourraient se trouver ultérieurement remis en cause sous l'effet de l'évolution de certaines théories constitutives du système total de la connaissance (problème de la base empirique).

Les lignes critiques (1) et (2) ont conduit, si ce n'est à abandonner la constellation des oppositions classiques observation / interprétation-explication, énoncés observationnels / énoncés théoriques, observations irrécusables / théories sujettes à caution, etc., du moins à les relativiser (chaque terme de l'opposition n'ayant de sens que relativement à l'autre et à un contexte historique spécifié) et, partant, à modifier leur statut : nombre d'auteurs les considèrent aujourd'hui comme des outils conceptuels utiles en vue de la clarification des problèmes philosophiques, plutôt que comme des ordres effectivement distincts de réalité.

(3) Enfin, a-t-on encore souligné, l'acte d'observation ne peut pas toujours légitimement être assimilé à l'acte de prélever un fragment de réalité sans en rien modifier. L'on doit au contraire reconnaître qu'il perturbe parfois l'objet observé de manière non négligeable et non contrôlable. Dans de tels cas, les descriptions d'observations ne peuvent prétendre recueillir des caractéristiques intrinsèques (qui auraient existé même si l'acte de connaissance n'avait pas été effectivement mis en œuvre) de la réalité indépendante. Ce qu'elles constatent n'est en fait que le résultat d'une interaction entre celui qui observe (l'homme de science éventuellement armé d'instruments de mesure) et l'objet observé, sans que puisse être démêlé ce qui appartient en propre au sujet d'une part, à l'objet d'autre part.

Historiquement, on a tout d'abord postulé que la perturbation de l'observé par l'observant était une spécificité des sciences humaines due à la nature singulière de leur objet d'étude, l'homme, sujet doué de conscience, reconnu à ce titre susceptible, contrairement aux êtres inanimés ou aux animaux, de se comporter différemment selon qu'il se sait ou non observé(5). Mais le même schéma de pensée a ensuite été étendu à la physique, après que Bohr eut pointé l'analogie entre les configurations épistémiques propres à la mécanique quantique et aux sciences humaines(6). À examiner les choses de près, des différences fondamentales séparent toutefois les deux situations ; si Bohr les mit scrupuleusement en évidence, ses successeurs les ignorèrent malheureusement trop souvent, d'où les innombrables confusions qui entachent aujourd'hui les débats sur le sujet.

Sans pouvoir développer, notons qu'il est indispensable de discuter méticuleusement : (a) l'assimilation, souvent présentée comme allant de soi, de l'observation et de la mesure (la seconde étant vue comme simple prolongement de la première) ; (b) l'analogie, voire l'identité, instaurée entre d'une part le sujet-conscient-observateur perturbant un objet-conscient-observé, et d'autre part l'instrument de mesure (lui-même élaboré et manipulé par un sujet conscient) perturbant un objet physique mesuré ; (c) le sens d'énoncés du type « l'observation (ou la mesure) produit (voire crée) les résultats de l'observation (ou de la mesure) »(7).

Léna Soler

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Souvent rapportée à C. Bernard, en fait à une version assez caricaturale de ses idées (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, (1865), Garnier-Flammarion, Paris, 1966).
  • 2 ↑ Bachelard, G., la Formation de l'esprit scientifique, (1938), Vrin, Paris, 1989, p. 44.
    Hempel, C., Éléments d'épistémologie, (1966), A. Colin, Paris, 1991, pp. 17-18.
    Koyré, A., Études d'histoire de la pensée scientifique, Gallimard, Paris, 1973.
  • 3 ↑ Feyerabend, P., « Comment être un bon empiriste ? Plaidoyer en faveur de la tolérance en matière épistémologique », (1963), De Vienne à Cambridge, Gallimard, Paris, 1980, pp. 245-276.
    Hanson, N. R., Patterns of Discovery, Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1958.
    Kuhn, T., la Structure des révolutions scientifiques, (1962) (postface de 1969), Flammarion, Paris, 1983.
    Neurath, O., « Énoncés protocolaires », (1942), Manifeste de Vienne et autres écrits, PUF, Paris, 1985, pp. 221-231.
    Popper, K., la Logique de la découverte scientifique, (1943), Payot, Paris, 1973.
  • 4 ↑ Quine, W.V.O., « Les deux dogmes de l'empirisme », (1951), De Vienne à Cambridge, Gallimard, Paris, 1980, pp. 87-112.
  • 5 ↑ Lévi-Strauss, C., Anthropologie structurale, (1958), Plon, Paris, 1974, II, pp. 344-345.
  • 6 ↑ Bohr, N., Physique atomique et connaissance humaine, Gallimard, Paris, 1991.
  • 7 ↑ Bitbol, M., Mécanique quantique, Flammarion, Paris, 1996. Bohr, N., ibid. ; Kojève, A., l'idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne, (1932), Le Livre de Poche, Paris, 1990.
    Mittelstaedt, P., The Interpretation of Quantum Mechanics and the Measurement Process, Cambridge UP, Cambridge, 1998.

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