donné

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Épistémologie

Ce qui est simplement fourni, constaté ou postulé et constitue la base ou le point de départ d'une construction intellectuelle (en opposition à ce qui est construit ou inféré).

En un sens relatif, l'opposition donné / construit ou donné / dérivé se définit en fonction de la problématique considérée : le donné, ce sera, selon les cas, le mieux connu, ou le plus élémentaire, ou le plus immédiat, etc. ; et elle est susceptible de se répéter à différents niveaux : on pourra considérer les perceptions comme données relativement aux connaissances empiriques et comme construites relativement aux sensations.

En un sens absolu, relève du donné l'ensemble des contenus, fournis par les sens ou par quelque autre faculté, qui sont à la base de notre connaissance du monde. En supposant l'existence d'un tel donné, on offre un fondement à notre connaissance, on pose un terme ultime aux processus de justification, et on opère éventuellement une distinction entre ce qui est reçu passivement et ce qui implique une élaboration intellectuelle, même involontaire.

Le donné peut être le point de départ de la théorie épistémologique, comme chez Locke, où les idées simples issues des sens (ce rouge-ci, cette forme-là, etc.) constituent les éléments premiers d'une construction destinée à montrer comment l'ensemble de nos idées proviennent de l'expérience. Mais il peut aussi en être un terme (Bergson, Husserl, Moore), résultat de l'analyse ou de la réflexion introspective menées pour retrouver, libérés de tout conditionnement (interprétations, préjugés, mises en formes, etc.), les contenus fournis originellement à la conscience (on croit voir un ballon, c'est-à-dire un objet tridimensionnel rempli d'air, alors qu'on ne voit, effectivement, qu'une surface colorée, qu'un aspect de l'objet).

Selon l'élément mis en avant, l'absence de mise en forme ou l'immédiateté, on peut distinguer deux acceptions principales. Dans le premier cas (a), « donné » désigne le matériau brut de la perception : la part qui ne dépend d'aucune élaboration intellectuelle, mais seulement des stimulations sensorielles ; dans le second (b), « donné » désigne les contenus fournis immédiatement à la conscience. Ces deux sens ne se recouvrent pas nécessairement. Chez Kant, le donné au sens (a), c'est la matière du phénomène qu'on ne peut séparer de ce qui l'informe, quelque chose qu'on peut postuler mais pas saisir, comme l'explique C. I. Lewis(1), alors que le donné au sens (b) est un certain ensemble de contenus conscients : les intuitions, empiriques ou pures (même les objets peuvent, en ce sens, être qualifiés de donnés).

L'horizon fondationnaliste, caractéristique de l'époque moderne, a été en grande partie abandonné au cours du xxe siècle. Dénoncée par W. Sellars en 1956 comme un mythe(2), l'hypothèse d'un donné n'a plus de place dans une épistémologie jugeant que tout élément de connaissance, aussi rudimentaire soit-il, dépend d'hypothèses théoriques ou de mécanismes interprétatifs pouvant être remis en cause et abandonnés.

Françoise Longy

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lewis, C. I., Mind and the World Order, chap. II, Constable and Company, Londres, 1929.
  • 2 ↑ Sellars, W., Empirisme et philosophie de l'esprit, L'éclat, Paris, 1992.