Hermann Hesse

Hermann Hesse
Hermann Hesse

Romancier allemand naturalisé suisse en 1923 (Calw, Wurtemberg, 1877-Montagnola, Tessin, 1962).

Enfance et premières révoltes

« Mes œuvres ont été écrites sans intention de servir une idée. Pourtant, si je cherche ce qu'elles pourraient avoir en commun, je découvre, rétrospectivement, cela : de Camenzind au Loup de steppes (Der Steppenwolf) et à Josef Knecht, elles peuvent toutes être comprises comme une défense de l'individu, à l'occasion comme un cri de détresse en faveur de cette défense. L'individu humain est unique ; avec son hérédité, ses possibilités, ses dons et ses penchants, il représente une chose si tendre et si fragile qu'elle a besoin d'être défendue. » Cette déclaration tardive, dans une lettre écrite en 1954, ne doit pas faire croire que l'œuvre de Hesse soit doctrinale ou abstraite ; elle est foncièrement lyrique, d'un artiste sensible à la fois aux couleurs et aux sons, doué aussi bien pour la peinture, qu'il a pratiquée, que pour la musique, du chant des oiseaux à la symphonie des mondes.

Il était souabe, avec une mère venue de Suisse ; son père avait été, dans sa jeunesse, missionnaire protestant aux Indes, avant de venir vivre à Calw, où naquit le poète. Hesse écrira, bien plus tard : « La plus belle ville que je connaisse, c'est Calw, petite ville souabe de la Forêt-Noire, vieille petite ville au bord de la rivière Nagold. » Cet attachement au paysage de son enfance ne devait jamais finir, mais il est lié dès le début, et de la façon la plus romantique, à l'aspiration au voyage, au vagabondage plutôt, qui allait devenir un thème majeur du romancier.

Enfant, ou presque encore enfant, Hermann Hesse avait fui le séminaire de Maulbronn, où son père l'avait mis avec l'espoir de faire de lui un pasteur. Ce fut sa première rébellion et sa rupture définitive avec les écoles : il devint apprenti libraire et se donna tout seul sa formation littéraire. À vingt-deux ans, en 1899, il publiait une première plaquette de Chants romantiques (Romantische Lieder).

Ses deux premiers romans, Peter Camenzind en 1904 et l'Ornière (Unterm Rad) en 1906, sont inspirés par ses souvenirs de jeunesse. Camenzind est amoureux des cimes et des nuages, c'est ce libre garçon de la montagne qui a fait de Hesse un homme célèbre. Le héros de Unterm Rad est plus amer : il se révolte contre les contraintes de l'école et de la famille, il étouffe dans les bibliothèques, et la nostalgie des lointains le consume. En 1915, le vagabond Knulp s'est libéré des entraves : il a gardé le sens poétique des enfants et des simples, il ne fuit pas, comme demain fera le Loup des steppes, mais il chante et gambade, un peu comme le « propre-à-rien » d'Eichendorff ; il chemine de ferme en village, pour donner à ceux qui mènent une vie sédentaire et bornée un peu de nostalgie, un regret de la liberté que lui a conservée. Rosshalde (1914) est le nom du domaine où se joue, entre idylle et tragédie, le drame étouffé de l'incommunicabilité et du bonheur toujours fuyant.

D'un voyage aux Indes, Hesse avait rapporté un récit publié en 1913 ; c'est quelques années plus tard, sous l'effet de la Première Guerre mondiale, que la signification de l'Inde devait se révéler à lui. Mais, peu après son retour en Europe, il avait quitté sa Souabe natale pour s'établir en Suisse, où il devait vivre jusqu'à sa mort.

Une œuvre marquée par la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale l'a horrifié : en même temps que Romain Rolland lançait l'appel d'Au-dessus de la mêlée, Hesse s'adressait à ses compatriotes au nom de Beethoven et de la fraternité universelle. Unis contre les mêmes ennemis, Hesse et Rolland devaient demeurer amis jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L'un et l'autre ont espéré trouver en Orient et en particulier en Inde une pensée fidèle à l'esprit d'humanité dont ils voyaient les peuples d'Europe se détourner.

Après Demian (1919), après un pathétique appel à la jeunesse allemande, le Retour de Zarathoustra, en 1919 aussi, au lendemain de la défaite, le livre de la nouvelle expérience, de la nouvelle aventure à la recherche d'une voie que l'Occident n'offre plus s'appelle Siddharta (1922). « C'est la confession d'un homme d'origine et d'éducation chrétiennes, qui a tôt quitté l'Église et qui s'est efforcé de comprendre d'autres religions, en premier lieu celles de l'Inde et de la Chine. J'ai cherché à déceler ce qui est commun à toutes les confessions, à toutes les formes de piété, ce qui dépasse les différences entre les nations, ce qui peut être cru et respecté par tout homme, à quelque race qu'il appartienne. »

Mais, cinq ans après l'histoire du jeune brahmane de Siddharta, ce sont les arrachements et les déchirements de la vieille Europe qui reviennent dans le Loup des steppes (Der Steppenwolf, 1927). L'Inde ne lui avait pas apporté la réponse à toutes les énigmes, ni non plus la sérénité ; l'homme qui semblait « arrivé » rompt de nouveau avec son passé et son milieu, séduit par le vent et le chant de l'horizon.

Avec le Voyage en Orient (Die Morgenlandfahrt), qui ouvre, en 1932, les perspectives apaisées d'une méditation intemporelle, on retrouve les sagesses anciennes et les œuvres d'art, d'Orient comme d'Occident. Les difficiles synthèses d'une totalité plus vivante avaient animé Narcisse et Goldmund (Narziss und Goldmund, 1930), dont les personnages sont, encore une fois, des doubles du poète lui-même, mais où la mise en forme des expériences a été poussée plus loin. Novice à Mariabronn, Narcisse est saisi d'amitié pour un jeune élève, Goldmund, qui se croit appelé à la vie monastique. Narcisse, miroir révélateur, lui fait apparaître ce qu'est la vie qui l'attend. Goldmund fuit à l'aventure, devient sculpteur, connaît des dangers, dont, au plus mauvais moment, une intervention de Narcisse, qui incarne la lucidité et la maîtrise de soi, le sauvera de justesse. Il ramène au couvent, qu'il dirige désormais, l'artiste dénué de tout, qui se met à travailler pour la communauté. Puis l'enivrement de la liberté saisit une fois encore, ce sera la dernière, Goldmund. Il fuit, mais ne pourra plus aller loin ; brisé, épuisé par l'aventure impossible et par sa propre contradiction, il reviendra mourir à Mariabronn, comme au pays natal celui « qui a fait un long voyage ». Devant son vagabondage toujours recommencé, qui est la passion des héros de Hesse, Goldmund est habité par le besoin de créer. C'est fondamentalement un artiste et cela le rattache à la communauté, celle de la corporation ou bien celle du couvent, quand il travaille pour elle. Couleur, chaleur, mouvement, nuances d'un instant et froid de l'infini, toutes les ressources sensorielles du style descriptif et narratif de Hesse sont au service de ce personnage, qui tenait au cœur du poète et qui n'est pas sans traits communs avec le Jean-Christophe de Romain Rolland.

La plus vaste composition narrative de Hesse est parue en 1943, en deux volumes, sous le titre : Das Glasperlenspiel (le Jeu des perles de verre). Le sous-titre dit : Essai de biographie du maître de jeu Josef Knecht, suivi de ses écrits posthumes. Sur des thèmes présents depuis longtemps dans son œuvre, c'est la dernière méditation de l'auteur en forme délibérément symbolique, hors du temps et hors de tout contexte romanesque ordinaire puisqu'on n'y rencontre aucune figure de femme. C'est l'être humain au service de la nature ; s'orienter, deviner, sentir, agir ou essayer d'agir, prendre connaissance et se former, si toutefois la formule peut encore avoir un sens : « Cette fois, je n'ai pas voulu explorer le passé ou bien l'univers intemporel des contes, j'ai érigé la fiction d'un avenir daté. » Les traits de cet avenir ne sont ni de l'Occident ni de l'Orient, un empire du Milieu suspendu entre les montagnes, les nuages, les sources et l'innocence des commencements. Ce n'est pourtant pas un éden, et ce n'est à aucun degré un monde de l'énergie technique ; c'est un peu une utopie à rebours. C'est, comme le dit le titre, le jeu coloré, animé, plein de sens cachés et de liens mystiques des couleurs et des reflets dont se repaissent les yeux avides.

Hesse, fixé près de Lugano, dans une « maison sur la colline » qu'il appelait parfois son « ermitage », vivait dans le calme et la réflexion, avec les joies quotidiennes et inaltérables de celui pour qui compte la compagnie des fleurs et des oiseaux. Il n'en sortait que rarement, sauf pour quelques amis. En 1946, il avait reçu le prix Nobel de littérature.