Françoise Dolto

Psychiatre et psychanalyste française (Paris 1908-Paris 1988).

Une œuvre de pionnière

Issue du milieu de la haute bourgeoisie catholique, Françoise Dolto décida, contre l'avis de sa famille, d'exercer une profession et, se référant aux propres faits de sa vie privée, de devenir « médecin de l'éducation » afin de changer les conceptions que l'on avait eues jusqu'alors du monde de l'enfance. Sous la double influence du psychiatre René Laforgue (1894-1962), qui lui fit découvrir le freudisme, et du pédiatre Édouard Pichon (1890-1940), l'un et l'autre cofondateurs en 1926 de la Société psychanalytique de Paris (SPP), elle se voua à une méthode de psychanalyse infantile dont l'invention toutefois lui revient : fondée sur la capacité du thérapeute à se mettre à la portée du langage enfantin, et à l'employer lui-même lors de la cure psychanalytique, cette méthode tend à conférer à l'enfant en bas âge (de 2 à 3 ans – alors que Freud lui-même considérait que l'analyse d'un enfant ne devait pas commencer avant l'âge de 4 ans) une place de sujet à part entière. Pour préparer l'entrée des enfants à l'école maternelle, Françoise Dolto eut l'idée des « maisons vertes » qui virent le jour en 1979 : les tout-petits, accompagnés de leurs parents, y trouvaient un lieu propice à l'épanouissement de leur psychisme. Loin de tout laxisme que ses détracteurs lui reprochèrent, elle demeura fidèle à cette idée que l'enfant ne peut se développer correctement sans l'éducation des adultes – laquelle va de pair avec l'autorité.

Tant par ses positions théoriques, qu'elle affirma dès sa thèse de 1939, Psychanalyse et Pédiatrie (parue en 1971), que par les thérapies auxquelles elle procéda, Françoise Dolto devint l'une des figures les plus marquantes de l'histoire de la psychanalyse en France, et sans doute l'une des plus populaires aussi en réalisant une psychologie de masse : elle s'ouvrit en effet au grand public lors d'émissions de radio comme celle qui était intitulée Lorsque l'enfant paraît (à partir de 1977) et au cours de laquelle elle répondait en direct aux questions des parents sur les problèmes psychoaffectifs des enfants. Sur le plan clinique, elle assura les consultations, à Paris, de l'hôpital Bretonneau, puis de l'hôpital Trousseau où elle resta près de quarante ans. Son charisme personnel fit de son « Séminaire de psychanalyse d'enfants » à Trousseau un lieu de formation très recherché. Dans son abondante œuvre publiée, riche en exemples concrets, on retrouve son intuition clinique magistrale et la hardiesse de ses interprétations. On lui doit, entre autres : le Cas Dominique (1971), où elle relate intégralement la cure d'un adolescent psychotique ; Au jeu du désir (1981) ; l'Image inconsciente du corps (1984) ; Solitude (1985) ; Tout est langage (1995) ; les Évangiles et la foi au risque de la psychanalyse ou la Vie du désir (1996), où elle tente une alliance sans précédent de la psychanalyse et de la foi religieuse qu'elle conserva toute sa vie.

Une conviction de théoricienne

Françoise Dolto utilise avec rigueur les concepts freudiens et lacaniens en se les appropriant de façon toute personnelle. Elle se rangea aux côtés de Jacques Lacan et, avec ce dernier, démissionna en 1953 de la SPP pour fonder la Société française de psychanalyse. Conservant toutefois une totale indépendance à l'égard de la doctrine lacanienne, elle contribua à la création de l'École freudienne de Paris (1964-1980). Son ouvrage théorique le plus important est l'Image inconsciente du corps, dans lequel elle expose sa conception du développement psychique dès les premières années de la vie. La mère y tient un rôle fondamental. C'est elle qui administre à l'enfant ce que Dolto appelle les « castrations symboligènes ». Cela signifie que chaque stade du développement s'achève par une séparation, un renoncement à l'objet immédiat de satisfaction. Cette séparation donne lieu à une sublimation et à la constitution métonymique d'un autre objet, d'où l'expression de castration (coupure) symboligène (qui avance sur le chemin symbolique de l'humanisation). Dolto reprend les stades freudiens du développement libidinal (oral, anal, génital) en y ajoutant la castration ombilicale, prototype de toutes les castrations futures.

Au stade oral, il s'agit, par le sevrage, de séparer l'enfant du corps à corps avec la mère, ce qui permet l'accès au langage. Au stade anal se produit la coupure avec la tutelle maternelle qui amène l'enfant à l'autonomie corporelle. La castration anale laisse une place où pourra s'instaurer la relation avec le père. C'est ce dernier qui intervient dans la castration œdipienne, celle qui porte sur l'interdit de l'inceste et inscrit l'identité sexuelle.

La notion d'image du corps est une conception originale du narcissisme. L'enfant crée cette image à partir de la relation langagière avec la mère. Distincte du schéma corporel qui est le même pour tous et qui correspond à une maturation neurologique, l'image du corps est inconsciente et singulière pour chacun. Elle est constituée de trois éléments :
- l'image de base, qui forme le substrat du narcissisme primordial, du sentiment de continuité d'être dans son corps, et qui évolue selon les stades libidinaux ;
- l'image fonctionnelle, composante sthénique qui pousse l'enfant vers le mouvement et la relation au monde extérieur pour trouver le plaisir localisé dans le schéma corporel en un lieu érogène ;
- l'image érogène, qui, associée à l'image fonctionnelle, identifie certaines parties du corps dans leur capacité à procurer plaisir et déplaisir.

Ces trois composantes sont en perpétuelle interaction pour constituer une « image dynamique », celle d'un désir orienté vers la recherche d'un nouvel objet grâce aux castrations symboligènes. Tous les désirs sont légitimes, mais, prévient Françoise Dolto, tous ne sont pas réalisables.