Il est vrai que les mesures les plus spectaculaires – et non les moindres – des années 1981-1984 ont contribué à augmenter l'emprise de l'État sur l'économie en général et les entreprises en particulier. La politique de relance, mais surtout les nationalisations, comme les lois sociales et fiscales, ont traduit une volonté de renforcer l'intervention publique et de réduire le degré d'autonomie des entreprises. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que certaines dispositions prises pendant la même période ont contribué à accorder un peu plus d'autonomie aux entreprises. La création du second marché en est un exemple. Ces décisions n'ont pas été sans préparer le terrain à un renouveau de l'entreprise qui s'est manifesté, bien timidement, de manière concomitante au changement de gouvernement de 1984.

Le coup d'envoi du rajeunissement

Diverses indications factuelles laissent, en effet, penser que la France pourrait commencer à suivre une évolution identique à celle constatée dans d'autres pays. Un certain nombre de mesures, prises ou proposées par le gouvernement, tendent à confirmer cette impression. Un ensemble de faits récents semblent révéler l'existence, en France, d'une tendance à un renouveau de l'entreprise. L'ampleur du mouvement reste pourtant beaucoup plus faible que dans d'autres pays occidentaux.

Si l'on s'en tient aux strictes statistiques de la démographie des entreprises, le taux de renouvellement (rapport des créations aux défaillances) est resté élevé en 1984 (3,63), quoique en léger recul par rapport à 1983.

Ce résultat est moins défavorable qu'il paraît, puisqu'il a été enregistré dans un contexte d'augmentation du nombre des créations (+ 8,5 % par rapport à 1983) et donc de croissance du risque de défaillance.

On constate aussi une répartition sectorielle très contrastée, aussi bien pour ce qui est du nombre absolu des créations que du taux de renouvellement. On peut y voir la manifestation d'un certain dynamisme de l'économie française et d'un effort d'adaptation aux nouvelles conditions de l'activité. Pour l'année 1985, les données disponibles indiquent une progression régulière des disparitions d'entreprises au cours du premier semestre, mais un renversement de tendance pendant les trois mois suivants. (Les chiffres concernant les créations ne sont pas disponibles.)

Les statistiques concernant la démographie des entreprises doivent néanmoins être interprétées avec prudence. Elles sont, en effet, relatives à des entités juridiques et non pas au concept économique de firme : une filialisation est ainsi considérée comme une création d'entreprise nouvelle. D'autre part, les sources essentielles d'informations sont les greffes des tribunaux de commerce. Il peut s'écouler ainsi un certain délai entre la réalisation d'un événement (naissance ou disparition) et son enregistrement.

Il n'en reste pas moins qu'un taux de renouvellement élevé reste un indicateur de vigueur. La plupart des nouvelles entreprises sont naturellement des PME. Leur petite taille et la flexibilité qui les caractérise leur permettent de mieux s'adapter aux modifications des activités économiques. Leur souplesse est aussi, dans une certaine mesure, un avantage pour éviter les pressions les plus directes de l'État.

L'exemple de l'étranger est à ce point de vue éclairant. Le dynamisme et les bonnes performances de l'économie italienne sont dus à l'efficacité de son tissu de PMI dont un bon nombre échappent, partiellement ou totalement, à la sphère de l'économie officielle. De même, la reprise américaine a généré, mais a aussi été entretenue, par un véritable « PMI-boom », en particulier dans les secteurs les plus porteurs d'avenir (qui ne sont pas uniquement ceux à technologie avancée).

Pourtant, on constate qu'en France les PMI ont encore une attitude vis-à-vis de l'avenir plus conservatrice et plus prudente que les grandes entreprises. Une étude de la Banque de France est significative à ce propos. Elle montre que, par rapport à 1984, 86 % des grandes firmes (plus de 500 salariés) sont prêtes à accroître ou à maintenir leur effort d'investissement. Le chiffre n'est que de 70 % pour les PME. Il ne suffit donc pas d'avoir un important tissu de PME. Encore faut-il qu'elles soient désireuses et capables d'adopter une attitude dynamique et de prendre des risques. Une modification des comportements est encore à réaliser en France dans ce domaine, pour que se généralise un véritable esprit d'entreprise. Le fait que les opérations de capital-risque soient encore peu importantes, et parfois plus orientées (avec des fonds publics) vers la lutte contre le chômage que vers la rentabilité, est une illustration de cette nécessité de changement. Le rendement de ces activités reste très faible par rapport à ce qu'il est aux États-Unis et ne permet pas de justifier, sur le plan économique, la prise de risque qu'elles impliquent.