Quant à Raymond Barre, qui se veut indépendant de tout parti, estimant que le problème occupera la scène longtemps encore et qu'il doit être traité à la fois avec « fermeté et générosité », il dénonce le procès d'intention fait par la gauche à l'opposition et « déplore profondément que le problème de l'immigration ait été porté au cœur du débat politique ».

Mais l'importance prise par le problème ne résulte pas du hasard. Plusieurs circonstances l'expliquent, certaines anciennes, mais amplifiées, aujourd'hui, d'autres nouvelles. Les unes et les autres entraînent des réactions – susceptibles de se traduire en tensions collectives – de nature psychologique et sociale.

Concentration et visibilité

Les quelque 4 à 4,5 millions d'étrangers présents ne forment pas un ensemble homogène, et les considérer globalement donne une image incomplète et comme déformée de l'immigration. En premier lieu, les migrants ne se diffusent pas également sur le territoire, mais selon une tendance universelle au regroupement, ils se concentrent là où se trouvent les emplois, c'est-à-dire dans les zones de forte implantation industrielle et dans les plus grandes agglomérations.

Plus de la moitié, 57 % d'après les données du dernier recensement, résident dans trois Régions, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Île-de-France, 36 % dans la seule Île-de-France. Dans douze départements, la proportion dépasse 10 %. Elle atteint 14 % à Paris et dans les départements limitrophes (17 % en Seine-Saint-Denis, 20 % dans le tiers des arrondissements de la capitale, davantage dans certaines communes). La concentration est telle çà et là que se constituent des îlots ou des quartiers entiers peuplés d'immigrés, qui vivent ainsi comme en vase clos, sans contact direct avec la population locale. Celle-ci s'éloigne, parce qu'elle ne se reconnaît plus chez elle.

Dès lors, faut-il s'étonner que la carte ci-jointe dessine de près les contours géographiques du vote pour les formations politiques les moins favorables à l'immigration ?

Origines ethniques plus éloignées

À la montée des effectifs des immigrés et à leur concentration croissante a correspondu un changement marqué de leur composition ethnique. Tel est le grand fait nouveau.

Aux Belges, Suisses, puis Italiens venus les premiers, sans qu'il soit besoin de les appeler, se sont ajoutés entre les deux guerres des contingents d'Europe centrale et orientale, Polonais surtout. Puis, après les années 50, Espagnols et Portugais, et un afflux croissant d'Algériens, puis de Marocains, de Tunisiens, de Yougoslaves et aussi de Turcs, mais plus nombreux que ces derniers, ainsi que de ressortissants d'Afrique noire ; des Asiatiques enfin, réfugiés en particulier de l'ancienne Indochine française.

Dès lors, l'immigration, presque exclusivement européenne au début, devient de plus en plus avec le temps extraeuropéenne. Plus de la moitié des immigrés sont aujourd'hui d'origine non européenne, plus de 40 % Africains, surtout Maghrébins. Ainsi, ce sont plus de 2 millions d'immigrés au total dont la langue maternelle est plus éloignée du français que celle des Latins, dont les habitudes culturelles de tous ordres surprennent davantage les Français et dont l'enracinement religieux n'est pas celui de la tradition judéo-chrétienne, mais de l'islam, parcouru aujourd'hui par de vifs courants intégristes.

Comment ces différences accrues entre Français et immigrés ne provoqueraient-elles pas un sentiment d'étrangeté pour les uns et des difficultés particulières pour les autres, sources de tensions si l'on n'y prend garde ? Le processus d'accommodation entre nationaux et nouveaux venus n'est pas unilatéral. Il suppose un effort réciproque, pour se produire sans heurts.

Emploi et chômage

Distants des autochtones par les lieux de résidence, différents par les origines ethniques, les immigrés le sont aussi par leur activité. Les faits sont connus dans leurs caractères généraux. On les rencontre davantage dans l'industrie et le bâtiment (respectivement 34 % et 22 %), où ils exercent des métiers moins qualifiés que les Français. Leur concentration professionnelle accroît encore leur visibilité. Corrélativement, ils sont moins nombreux dans l'agriculture et dans le secteur tertiaire, où ils travaillent surtout dans le commerce, et rares sont ceux qui accèdent à des postes de cadres. Une étude approfondie ferait état de différences non négligeables entre les diverses nationalités, chacune ayant sa spécificité et son visage propre.