Mais il y a plus grave aujourd'hui. Dans la période intercensitaire, de 1975 à 1982, le nombre d'actifs pourvus d'un emploi a encore augmenté légèrement parmi les Français, de 3,5 %, par suite surtout de l'accroissement du travail féminin, mais il a reculé parmi les étrangers de 11,5 %, passant de 1 511 000 à 1 338 888. La crise économique et le chômage touchent en effet plus sévèrement la population émigrée, dont le niveau de vie n'est déjà pas très élevé en général.

Le chômage ne frappe pas également les groupes d'origine ethnique différente. Il touche beaucoup moins ceux qui sont arrivés depuis plus longtemps, Italiens et Espagnols – dont le profil social, si l'on peut dire, est très proche de celui des Français – ou Portugais, rentrés plus souvent chez eux, mais il frappe de plein fouet les vagues plus récentes, non européennes : Turcs 14 % des actifs, Marocains 15 %, Tunisiens 18 % et, avant tous les autres, Algériens, 22 %, contre 9 % parmi l'ensemble de la population active. Le chômage a continué sa progression depuis 1982 et la situation n'a pu que s'aggraver pour les immigrés, en même temps que les écarts entre eux (Enquête sur l'emploi en 1985 ; Paris, Collections de l'INSEE, série D, 107, octobre 1985, 272 p.).

Que les déplacements soient libres et spontanés, comme autrefois, que les pays d'arrivée procèdent ou non à des recrutements à l'étranger, que les pays de départ les encouragent et les favorisent, que des réglementations interviennent de part et d'autre, qu'il y ait ou non des accords entre gouvernements, les migrations sont toujours sensibles à la conjoncture économique et au marché de l'emploi. Les migrants ne quittent pas leur terroir par fantaisie ou par goût de l'aventure. Seul les guide le souci d'améliorer leurs conditions d'existence et de trouver du travail. Si le travail vient à manquer là où ils sont allés, leur situation se détériore, des mouvements de retour s'amorcent, mais, si précaire qu'elle devienne, ils ont pris des habitudes et ne sont pas sûrs de trouver mieux dans leur propre pays. Ils sont donc tentés de rester, alors que les autochtones peuvent souhaiter leur départ. Les difficultés économiques risquent ainsi de transformer en dialogue conflictuel une rencontre plus aisée que favoriserait la prospérité.

Jeunesse des immigrés

Le chômage atteint davantage les jeunes, qui ont du mal à se placer sur le marché du travail. Les groupes qui en comptent le plus sont donc à l'évidence les plus touchés. Or, précisément, la structure par âge des populations immigrées récemment, tout particulièrement maghrébine et musulmane, est très différente de celle des Français. La moitié des immigrés n'ont pas 25 ans, et 5 % seulement ont dépassé 54 ans, alors que parmi les Français les proportions respectives sont de 36 et 25 %.

C'est donc parmi les groupes originaires du Maghreb, Algériens en particulier, les plus nombreux et les plus concentrés, que se trouvent le plus d'adolescents sans emploi, plus sensibles aux voix de la propagande politique et aux tentations nées du désœuvrement. La délinquance est-elle plus élevée dans cette population de jeunes inactifs ? Sans doute, mais une comparaison équitable devrait porter sur des nationaux de même âge, placés dans les mêmes conditions de vie. Il n'est pas surprenant, en tout cas, qu'ils soient plus bruyants et plus voyants.

L'école et l'avenir

La jeunesse de la population immigrée récente résulte d'un double phénomène. En premier lieu, toute migration est sélective et concerne davantage d'hommes que de femmes, et de jeunes adultes, en quête de moyens de subsistance pour eux-mêmes et leur entourage. Ensuite, s'ils s'installent durablement dans le pays d'arrivée, ils font venir leurs femmes, elles aussi jeunes et en âge d'avoir des enfants, et ces familles conservent, au moins au début, le comportement prolifique de leur milieu d'origine.

Les naissances étrangères se multiplient ainsi d'année en année pour atteindre aujourd'hui 12 et 13 % de l'ensemble des naissances en France. Les familles nombreuses et très nombreuses sont plus fréquentes dans ces populations, et plus visibles aussi. Le nombre des enfants étrangers, maghrébins en particulier, s'accroît en conséquence dans les écoles maternelles, puis dans les écoles primaires, puisqu'ils sont soumis à l'obligation scolaire, et ensuite dans le technique et le secondaire. D'où des difficultés certaines pour les enseignants, là où la concentration est forte, et pour les parents français, désireux de retirer leurs enfants de classes et d'écoles où ils deviennent minoritaires.