Il ne faut pas grossir ces difficultés, comme l'ont montré les études les plus sérieuses (Henri Bastide : les Enfants d'immigrés et l'enseignement français. Enquête dans les établissements du premier et du second degré ; Paris, P.U.F., 1982, 280 p.). L'obstacle linguistique cesse de se dresser à mesure que les enfants étrangers nés en France parlent français comme les autres. Le problème n'en est pas moins réel là où la concentration d'immigrés empêche les contacts avec la population ambiante. Mais ne faut-il pas se garder de leur donner l'instruction dans la langue de leurs parents, l'école devant être le lieu même et le creuset pour l'avenir de l'insertion dans la société française (James Marangé et André Lebon : l'Insertion des jeunes d'origine étrangère dans la société française ; Paris, la Documentation française, 1982, 273 p.) ? Le danger n'est-il pas que les enfants se trouvent écartelés entre deux cultures ? Une mission de l'école est d'œuvrer afin de l'éviter.

Rien ne prouve d'ailleurs, comme le suppose l'enquête publiée par le Figaro Magazine, que les familles immigrées non européennes, celles qui resteront en France, conserveront longtemps leur fécondité initiale. Tout laisse entendre au contraire, d'après tous les précédents, qu'elles s'aligneront sur les comportements du pays d'arrivée. Le processus paraît d'ailleurs déjà engagé (Guy Desplanques : Nuptialité et fécondité des étrangères ; Économie et statistique, no 179, juillet-août 1985, 29-46.). Les jeunes de la deuxième génération sont en tout cas porteurs pour l'avenir des changements de mentalité, ceux des deux sexes, jeunes filles en particulier, qui ne sont déjà plus décidées par exemple à se laisser marier à la manière de leurs aïeules ou de leurs mères.

Politique des pays de départ et conflits parmi les immigrés

Les migrants ne sont pas seulement immergés dans une société qu'ils ne connaissent pas, ils restent attachés à la société dans laquelle ils sont nés, risquant d'être l'objet d'une sorte de marchandage qui se déroule bien au-dessus d'eux. Si la France a tiré avantage de la présence des travailleurs immigrés, les pays de départ tirent aussi de l'émigration un bénéfice qu'ils ne veulent pas laisser perdre : allégement de la pression démographique et du sous-emploi, rentrée de devises, formation professionnelle à l'étranger, etc. À l'intérêt, ou à l'égoïsme, si l'on veut, de la France, correspondent l'intérêt et l'égoïsme des pays de départ. Les intentions avouées ou cachées des uns ou des autres ne sont pas de nature à faciliter la concorde en terre d'arrivée.

Souvent dénoncés ou modifiés, ou mis à jour en fonction de la conjoncture, les nombreux accords passés avec les gouvernements de la Yougoslavie, du Portugal, du Maroc, de la Tunisie, ou de l'Algérie, qui considère ses émigrés « comme faisant partie intégrante de la nation algérienne », suffiraient à mettre sous une lumière très crue la double face, ou le double jeu si l'on veut, des uns et des autres, qu'il ne faut jamais oublier. En outre, les migrants transportent avec eux les conflits qui existent dans leur propre pays. À preuve les multiples associations étrangères de tendances opposées, qui se disputent leur faveur et tentent de les encadrer.

Rien de plus significatif à cet égard que l'histoire de la marche des « Beurs » fin 1983, et des marches concurrentes qui se poursuivent fin 1985. Combien de Français, d'ailleurs, et combien de Maghrébins pourraient donner la signification de cette bizarre appellation de « Beurs » ? Elle viendrait, paraît-il, par suite d'une étrange mode, des mots « jeunes arabes » prononcés à l'envers, en « verlan ». Quoi qu'il en soit, une Fédération de 150 associations de solidarité avec les travailleurs immigrés, la FASTI, s'est constituée. Les « Beurs » ne sont pas d'accord entre eux, ni surtout avec SOS-racisme, fort d'appuis officiels et qui cherche à les récupérer à des fins partisanes et électorales, confondant au nom de l'égalité un soutien de principe aux immigrés et des fins de lutte idéologique. Si, dit-on, les immigrés « sont chez eux » en France, n'est-il pas dangereux de les mêler à la vie politique au point d'en faire un enjeu ? Au reste, en leur for intérieur, n'aspirent-ils pas, dans leur immense majorité, à passer aussi inaperçus que possible, ce qui serait pour eux le meilleur gage de sécurité ? Il convient de souligner la position du roi du Maroc, Hassan II, recommandant aux immigrés marocains en France de ne participer en aucune manière à la vie politique française, et de ne pas voter aux élections municipales, si le droit leur en était donné.

Instinct et raison : quelle politique ?

Détachés de leur corps social, les immigrés se savent et se sentent différents, non pas inférieurs. Leur sensibilité, toujours à vif, accuse et creuse encore la distance qui les sépare des autres. Les migrations étant aujourd'hui contrôlées, dirigées, organisées, ils ont pris conscience de leurs droits.