Ainsi les États-Unis envisagent d'utiliser certaines îles, comme Saipan, Tinian et Palau, pour renforcer les bases déjà aménagées à Guam et à Kwajalein.

Bien que le problème de l'évacuation des bases des Philippines ne se pose nullement pour le moment, le Pentagone entend être paré à toute éventualité si cette évolution fâcheuse se précisait comme conséquence d'un changement de personnes et de tendance à Manille. Il est en effet vital pour le commandement en chef des forces armées des États-Unis dans le Pacifique (US CINPAC) d'assurer la continuité des relais qui permettent, notamment aux unités aéronavales de la septième flotte opérant dans l'océan Pacifique occidental et même dans l'océan Indien, de s'y mouvoir librement, d'y maintenir leur disponibilité opérationnelle grâce à une chaîne de bases logistiques et d'utiliser les facilités portuaires et aériennes qui leur sont concédées par accords bilatéraux. Ce réseau transocéanique s'étend de Pearl Harbor aux Hawaii à la base de Diego Garcia dans les Chagos, archipel sous autorité britannique situé au cœur de l'océan Indien, en passant par la Micronésie et des points de relâche et de transit situés tant dans certains pays de l'ASEAN (Thaïlande, Singapour) que dans le nord de l'Australie. On peut être assuré que les États-Unis entendent bien, sur le plan stratégique comme sur le plan diplomatique et économique, demeurer une puissance majeure de cette région du monde.

La sécurité des détroits insulindiens est-elle menacée ?

L'archipel qui prolonge le continent asiatique vers le Sud-Est en direction de l'Océanie constitue l'accès occidental, principal sinon obligé, à la zone du Pacifique. En effet, venant de l'ouest, le trafic maritime ne pourrait utiliser la route alternative passant par le sud de l'Australie qu'au prix d'un détour long, coûteux et inconfortable parce que traversant des parages aux conditions météorologiques difficiles : les fameux « quarantièmes (degrés de latitude australe) rugissants ». On peut donc avancer que la quasi-totalité du transport par mer à destination notamment du Japon et en provenance du Proche-Orient (produits pétroliers) ou d'Europe ainsi qu'une bonne partie des exportations des pays industrialisés d'Asie orientale à destination de ces mêmes régions du monde, passe presque obligatoirement par les détroits insulindiens. Les statistiques confirment d'ailleurs ce constat et, si les chiffres se sont un peu tassés en 1985, Singapour, par exemple, demeure, par le volume des marchandises qui y transitent, le deuxième port du monde.

Or la situation géopolitique de cette région s'est sensiblement dégradée au cours de ces derniers mois, au point que l'on peut craindre que les menaces potentielles pesant sur cette zone névralgique ne s'intensifient dans l'avenir. Une telle perspective ne manque pas d'être inquiétante dans la mesure où les intérêts économiques d'une des rares régions du monde encore en expansion risquent d'en être affectés gravement.

Les pays membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est apparaissent tant par leur cohésion diplomatique que par leur situation géographique comme de véritables gardiens de ces détroits. Mais l'équilibre intérieur de certains d'entre eux apparaît plus ou moins directement remis en cause par des ingérences extérieures s'employant à amplifier d'authentiques difficultés internes. Le plus septentrional des États de ce groupement, la Thaïlande, se trouve au contact direct, sur le terrain, d'une puissance anormalement forte sur le plan militaire, encore que dans une situation politique fragile et économique lamentable, le Viêt-nam : celui-ci, équipé et ravitaillé par l'URSS, a ainsi pu, dès les premiers jours de l'année 1985, mener une offensive vigoureuse aux confins même du territoire thaïlandais en vue d'y liquider les points d'appui de forces cambodgiennes qui ne s'accommodent pas d'une présence étrangère dans leur pays. Celui-ci est, en effet, occupé par l'armée vietnamienne depuis le début de 1979, avec le concours assez peu déterminé, semble-t-il, de sympathisants qui se sont ralliés à elle après avoir abandonné le camp des Khmers rouges dont ils constituent la fraction minoritaire s'étant appuyée sur Hanoi et s'étant opposée à la direction, favorable à Pékin.