La fierté nouvelle que ressent le peuple japonais semble, en effet, s'être incarnée en la personne de son actuel Premier ministre : celui-ci peut être considéré comme l'un des hommes qui auront marqué la période de réinsertion, puis celle de montée en puissance et en prestige du Japon au sein de la communauté internationale. Après Shigeru Yoshida, qui négocia le difficile traité de paix avec Washington en 1951, après Masayoshi Ohira, qui, le premier, donna au discours diplomatique une dimension mondialiste, Yasuhiro Nakasone se présente comme le héraut d'une volonté non seulement d'autonomie mais aussi de grandeur de son pays, au point que certains commentateurs n'ont pas hésité à le qualifier de « de Gaulle japonais » ! Au pouvoir depuis 1983, il apparut cependant, au départ, comme un peu terne, écrasé par l'ombre d'un parrain bien encombrant, l'ancien Premier ministre Kakuei Tanaka, dont la carrière brillante s'était effondrée prématurément sous les coups du scandale Lockheed.

Mais, dès les premiers mois de son mandat, M. Nakasone, personnalité alors peu connue hors de son pays, parvint à se forger une stature véritablement internationale de négociateur habile, sinon retors, dans les contacts qu'il amorça aussitôt avec des pays aussi différents que les États-Unis, bien sûr, premier partenaire du Japon en tous domaines, mais aussi l'ensemble de ses voisins, notamment la Chine et les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE : ASEAN en anglais), également dans le Pacifique Sud, et même en Europe, ce qui pouvait être considéré comme une gageure, compte tenu du profond différend commercial qui oppose depuis longtemps le Japon et la Communauté économique européenne. Le Premier japonais a tenu, de plus, à se rendre en personne aux funérailles de Constantin Tchernenko et a été, ainsi, un des premiers hommes d'État à rencontrer le nouvel homme fort, Mikhail Gorbatchev.

Le Japon, sous l'impulsion et à l'initiative de son Premier ministre, s'efforce donc de gommer la fâcheuse réputation, parfois justifiée, qui est la sienne en matière de commerce international. Si celui-ci est, en effet, structurellement bénéficiaire, c'est, pensent les partenaires de ce pays, en grande partie en raison des restrictions apportées aux importations. Les mesures protectionnistes que l'on reproche au Japon ne sont pas tellement de nature tarifaire, la législation douanière nipponne s'efforçant de s'aligner, au moins formellement, sur les dispositions du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), l'accord international sur les tarifs et le commerce dont ce pays est signataire ; mais il s'agit surtout de pratiques restrictives indirectes qui sont d'ailleurs renforcées par l'attitude traditionnelle du consommateur japonais, comme – il faut bien le reconnaître – par le faible effort consenti par les fabricants étrangers pour s'adapter aux goûts très spécifiques de cette clientèle potentielle. Or, durant l'année 1985, les présentations et expositions concernant les produits étrangers se sont multipliées à travers tout le pays. De plus, par deux fois dans l'année, le ministère du Commerce extérieur et de l'Industrie, le célèbre MITI, réunissait soixante entreprises importantes en avril et soixante-quatorze en août, pour élaborer avec elles des programmes d'action visant à favoriser les importations ; de fait, les prévisions font apparaître pour l'année fiscale 1985 une augmentation de 7,5 % des achats à l'extérieur des entreprises concernées ; il y a là, semble-t-il, une conjoncture relativement favorable dont les milieux d'affaires étrangers ne devraient pas manquer de profiter.

Il faut enfin souligner que, non content de manifester une activité inlassable, le Premier ministre japonais se donne volontiers une image d'humaniste pour bien signifier au monde la nature profonde du pays qu'il dirige. Sa démarche s'efforce de prouver que le Japon n'est pas seulement cette gigantesque usine et maison de commerce dont les produits font prime sur le marché mondial, mais qu'il est également riche d'une antique et vénérable civilisation, capable d'assumer le modernisme sans se dépouiller de sa personnalité traditionnelle dont elle sait faire partager au monde les trésors. Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard si 1985 est, à la fois, l'année où l'industrie et la technologie japonaises se sont mises en vedette à l'exposition de Tsukuba, et l'année où le cinéma japonais a remporté un nouveau et éclatant triomphe au festival de Cannes.

Les États-Unis préparent leur redéploiement géostratégique

L'Initiative de Défense Stratégique du président Reagan a fait l'objet, au cours du second semestre 1985, de développements, de polémiques et de commentaires de plus en plus aigus, à mesure que se rapprochait la date de la rencontre au sommet de Genève du 19 octobre. Cette décision qui remonte à 1983 a introduit un élément nouveau à la confrontation des deux supergrands, mais elle n'a pas modifié fondamentalement les impératifs plus classiques de la stratégie des États-Unis à l'encontre de son adversaire potentiel, notamment dans la région du Pacifique ; celle-ci apparaît, plus encore que l'Europe, où le dispositif militaire américain est imbriqué dans celui de ses alliés de l'OTAN, comme la zone de contact direct entre l'URSS et les États-Unis.