Les forces vietnamiennes, ayant remporté un succès tactique aussi indéniable que fulgurant, se trouvent depuis février 1985 au contact direct de l'armée thaïlandaise qui, en état d'infériorité numérique et qualitative, s'efforce, depuis cette époque, de se moderniser en tentant d'activer les livraisons d'équipements militaires en provenance des États-Unis. Dans le même temps, les Soviétiques accroissent leur implantation au Viêt-nam et y renforcent leur dispositif aérien et maritime. Ajoutons que la Chine continue à faire peser une menace diffuse sur la frontière septentrionale du Viêt-nam, malgré le vieillissement de son appareil militaire. Mais la Chine avait profité de la déconfiture de l'ancienne armée sud-vietnamienne pour se saisir de certaines îles situées, en face du Viêt-nam, au centre même de cette mer de Chine méridionale sur laquelle Pékin a toujours revendiqué des droits historiques ; cet espace maritime constitue la voie directe d'accès au trafic qui, ayant traversé les détroits insulindiens, se dirige vers l'Extrême-Orient continental, en particulier les grands complexes industriels et maritimes que constituent Hongkong, Shanghai, sans compter les autres ports que la Chine populaire entend désormais réouvrir aux activités internationales.

Un autre danger menace les pays de l'ASEAN, notamment ceux qui sont implantés au cœur de la région péninsulaire et archipélagique de l'Asie du Sud-Est, celle des détroits. En effet, hormis Singapour, peuplée en majorité d'habitants d'origine et de tradition chinoises, l'Indonésie, la Malaisie et même les Philippines, au moins dans leur partie méridionale, sont constituées de populations musulmanes qui subissent, plus ou moins violemment et particulièrement au cours de l'année écoulée, les influences perturbantes des tendances les plus radicales de l'islam. Les gouvernements, même lorsqu'ils sont eux-mêmes composés majoritairement de musulmans, sont très attentifs aux excès de groupes minoritaires mais extrêmement virulents, notamment dans les universités ainsi que dans les campagnes reculées. Des régimes déjà fragiles, compte tenu de l'usure du pouvoir et de l'échec, au moins relatif, de leurs options en matière économique, seraient susceptibles d'être plus ou moins profondément ébranlés par des mouvements d'origine religieuse mais qui auraient tôt fait de prendre une dimension politique. Une telle crainte vaut autant pour l'Indonésie, où le président Suharto est au pouvoir depuis près de vingt ans, que pour la Malaisie, où l'autorité du Premier ministre Mahathir bin Mohammad est affaiblie par un système fédératif conférant des pouvoirs étendus aux dirigeants des États fédérés, certains d'entre eux étant investis de plus, par la tradition, d'un prestige sinon d'une autorité en matière religieuse.

S'agissant de l'Indonésie, il faut aussi mentionner le problème épineux de l'ancienne colonie portugaise de Timor oriental, que le gouvernement de Djakarta espérait bien absorber le plus discrètement possible avec la complicité tacite des pays occidentaux, y compris l'Australie voisine, peu soucieux de voir se développer dans la région un abcès qui aurait pu donner naissance à un pôle de subversion, qualifié par certains auteurs de « mini-Cuba ». En effet, les éléments qui résistent encore à l'occupation indonésienne semblent inspirés d'idéologies radicales se rattachant au marxisme comme à la « théologie de la Révolution » ; il s'agit de populations de tradition chrétienne, puisque converties, au cours de leur passé colonial, par les Portugais. Le gouvernement indonésien est dénoncé périodiquement auprès des instances internationales, notamment au cours des sessions annuelles des Nations unies. Cette année encore, la solidarité des pays de la Conférence islamique, à laquelle appartient l'Indonésie, n'a pu s'opposer à l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée générale du problème de Timor oriental. Pour le moment, l'affaire semble circonscrite, mais elle pourrait accentuer les difficultés d'un pays qui se trouve dans une situation économique difficile, du fait, entre autres, de l'effondrement des cours du pétrole, alors que celui-ci apparaissait, dans les années récentes, comme une des ressources principales de l'Indonésie, qui est membre de l'OPEP.