Mais, si les technocrates, les politiciens ou les économistes n'ont pas compris 68, ce sont les Français dans leur ensemble qui n'ont pas compris 73. Au lieu de se livrer d'emblée à une analyse de la situation et d'envisager des solutions courageuses (le réalisme politique, la rigueur économique), les Français choisirent au contraire l'hibernation. À l'inverse de la quasi-totalité des autres pays occidentaux industrialisés, un consensus se fit pour ignorer la crise et ses conséquences sur l'inflation, l'emploi, la compétitivité des entreprises. Une réaction favorisée et encouragée, il faut le dire, par les grandes institutions (syndicats, partis politiques), qui continuaient à revendiquer ou à promettre l'augmentation des salaires et du pouvoir d'achat, dans un contexte de « croissance zéro » de la production nationale.

Comme « l'homme à l'oreille cassée » d'Edmond About, ce grognard de l'armée napoléonienne congelé dans les glaces de la campagne de Russie, les Français endormis eurent la surprise, à leur réveil, de voir que le monde avait changé autour d'eux. L'histoire retiendra que c'est fin 1982 que ce réveil se produisit. À « l'état de grâce » de 1981 avait succédé « l'état de grogne », en partie provoqué par la relance manquée de l'économie, à contre-courant des politiques engagées par les autres pays industrialisés. La réaction de l'opinion, soudainement ramenée aux réalités, fut brutale. Elle se traduisit par un rejet massif et sans précédent de toutes les institutions (État, syndicats, partis, justice, école, Église, etc.), accusées de ne pas avoir su expliquer ce qui se passait ni, a fortiori, empêcher les conséquences de la crise ; un rejet aussi de toutes les idéologies, de droite comme de gauche.

Seule rescapée de cette remise en question globale, l'entreprise. Après quinze ans de disgrâce, celle-ci était à nouveau reconnue comme le moteur indispensable de l'économie, le pourvoyeur de l'emploi, le payeur des salaires, le fournisseur des objets et des services indispensables à la vie courante.

Feu la « réclame »

Cette réhabilitation de la publicité, intermédiaire indispensable entre l'entreprise et le consommateur n'aurait sans doute pas été aussi totale si la publicité n'avait pas justifié par ses progrès ce retournement des mentalités. C'est que, en quelques années, l'évolution a été spectaculaire. Les affiches, pages de magazines, spots de radio ou de télévision n'ont aujourd'hui plus grand-chose en commun avec la « réclame » qui prévalait encore dans les années 50 et 60. Forts de leur nouvelle crédibilité, les publicitaires ont perdu leur complexe de marginalité. Ils sont donc mieux à même de prendre en compte les objectifs des entreprises, de dialoguer plus efficacement avec leurs hommes de marketing et surtout de comprendre les besoins des consommateurs.

Dans le même temps, la technologie faisait des bonds prodigieux, particulièrement évidents dans les domaines touchant à l'audiovisuel, qui sont la nourriture quotidienne des publicitaires : les techniques vidéo permettent aujourd'hui de réaliser des films plus vite que les techniques cinématographiques classiques. L'ordinateur autorise dès maintenant la synthèse des images et la création d'effets saisissants et complètement nouveaux.

Les supports eux-mêmes se multiplient. Les radios libres, un temps interdites de publicité, accueillent aujourd'hui les annonceurs. La télévision elle-même, jusqu'ici très vigilante à contenir la publicité (qui représente tout de même le quart de son budget) dans les limites strictes des tranches qui lui étaient réservées, entrouvre timidement sa porte à des formes nouvelles : parrainage ou coproduction d'émissions (Orangina et le Cocoricoboy) ; utilisation de certaines tranches du matin (Comptoir des entrepreneurs) ; citation plus fréquente des sponsors des manifestations sportives (Pernod Ricard, Elf Aquitaine), etc. De sorte qu'il semblera bientôt très éloigné le temps où l'on faisait la chasse à la « publicité clandestine », de la marque de la bouteille d'eau minérale ou du paquet de cigarettes visibles dans une scène de film à l'ignorance du présentateur qui parlait d'un Frigidaire, d'un Kleenex, d'un Bic ou d'un ruban de Scotch sans savoir qu'il faisait de la publicité pour des marques... Mais le mouvement en marche ne s'arrêtera pas là. Après Canal Plus et le Minitel, les nouvelles chaînes de télévision (par câble, par satellite, à péage) offriront de nouveaux espaces pour la communication des entreprises. Et puis le « marketing direct », qui vient nous parler à domicile par les lettres, le téléphone, le porte-à-porte ou le Minitel, n'a pas fini de nous étonner. Peut-être aussi de nous agacer...