1985 : l'année de la Pub

« Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel. » Sous ce titre à la Woody Allen se cachait, en 1979, la première confession d'un publicitaire encore inconnu du grand public : Jacques Séguéla. Fin 1984, le talentueux patron de l'Agence RSC et G se reconnaissait sans honte une autre mère et nous livrait Fils de pub. En cinq ans, une profession était passée de l'état de marginalité à celui de phénomène culturel. Enfants, parents, chefs d'entreprise, consommateurs, citoyens, hommes politiques, commerçants, journalistes..., tous saluent aujourd'hui la publicité comme l'un des soutiens nécessaires de l'économie moderne, l'une des composantes de la société contemporaine.

À ceux qui douteraient encore du phénomène, quelques chiffres montreront le chemin parcouru. D'après le sondage IPSOS réalisé en juin 1985 pour l'hebdomadaire le Point, 72 % des Français ont une bonne opinion des publicitaires. Près de la moitié considèrent que la publicité a un effet positif sur l'évolution des mœurs. Et citent, parmi les campagnes qui les ont marqués, le fameux « Bonjour les dégâts », destiné à lutter contre l'alcoolisme, ou la campagne réalisée par Vittel (« Buvez, éliminez »). Des chiffres qui inversent ceux des enquêtes effectuées il y a seulement cinq ans.

La pub est un jeu de société ; les Français en connaissent aujourd'hui les règles

Il est donc terminé le temps où les Français ne voyaient dans la publicité qu'un moyen d'abrutir, de mentir, de manipuler. Certes, les consommateurs d'aujourd'hui ne sont pas devenus naïfs. Même s'ils sont de plus en plus nombreux à reconnaître les vertus informatives des campagnes qui leur sont proposées dans les différents médias, ils savent que leur raison d'être est plus de les pousser à l'achat que de parfaire leurs connaissances. Mais c'est là un jeu qui leur paraît légitime et qu'ils sont d'autant mieux disposés à jouer qu'ils en connaissent aujourd'hui les règles. On peut en énoncer six principales, qui s'enchaînent logiquement :
1. Pour survivre (et maintenir ou créer des emplois), les entreprises ont besoin de vendre leurs produits en grandes quantités.
2. La concurrence actuelle (nationale et internationale) est telle sur la plupart des marchés qu'il ne suffit pas de fabriquer de bons produits pour les vendre. Il faut aussi le faire savoir.
3. La publicité est le moyen indispensable pour faire connaître un produit à ses acheteurs potentiels.
4. Grâce à la publicité, le consommateur peut gagner du temps dans son processus de décision d'achat, surtout lorsqu'il s'agit de produits « à forte implication » (biens d'équipement coûteux, produits de loisirs, etc.)
5. Dans le rapport de forces entre la publicité et le consommateur, c'est toujours le consommateur qui a le dernier mot. À condition, bien sûr, d'exercer son libre arbitre devant les propositions multiples qui lui sont faites quotidiennement.
6. En plus, la publicité est un spectacle, un divertissement, une création en même temps qu'un miroir de la société contemporaine. Elle égaie l'environnement et présente l'avantage d'être gratuite. Elle mérite donc à ce titre la considération des Français, qui ressentent autant le besoin de se distraire que celui de comprendre ce qui se passe autour d'eux.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce cheminement de la publiphobie vers la publiphilie n'est pas la conséquence d'un mouvement de (bonne) humeur des Français ni d'une révélation soudaine. Il est lié pour l'essentiel à trois évolutions majeures dans la mentalité collective : la réhabilitation de l'économie, en général, et de l'entreprise, en particulier ; la qualité croissante des campagnes, grâce aux efforts à la fois techniques, artistiques et informatifs effectués par les publicitaires depuis quelques années ; l'arrivée à la maturité des générations actuelles de consommateurs, beaucoup plus capables, aujourd'hui, de « décoder » les messages publicitaires, et donc moins susceptibles de se laisser manipuler par eux. Ces trois évolutions méritent que l'on s'y attarde un peu, car elles nous racontent le passage progressif de la société de consommation à la société de communication.

La fin de l'opulence

Il y avait eu mai 68 et son cortège de prestations en forme de révolution contre un monde industriel, froid, laissant peu de place à l'épanouissement personnel. Pendant vingt ans, la société d'opulence avait flatté certains ressorts de l'âme humaine (besoin de sécurité, recherche du confort), mais elle en avait oublié d'autres : goût pour l'aventure, besoin de se dépasser, nécessité d'équilibrer le rationnel et l'irrationnel, le matériel et le spirituel. Et puis vint l'hiver 1973-1974 avec le premier choc pétrolier, début d'une crise dont on ne vit longtemps que les aspects économiques. Il s'agissait en réalité de bien autre chose : crise des valeurs, crise de confiance, crise internationale... En fait, une véritable révolution culturelle profonde et incontournable, à côté de laquelle mai 68 n'était somme toute qu'une petite explosion, un ballon d'essai social, dont les technocrates du moment n'avaient pas su tirer les enseignements.