François Soudan

Cameroun

L'armée entre en politique

L'accession de Paul Biya à la présidence de la République en novembre 1982 avait suscité une réelle espérance chez une grande majorité de Camerounais. Deux ans après, c'est le désenchantement. Pire, la querelle qui a opposé le président Biya, sudiste et catholique, à son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, nordiste et musulman, s'est soldée le 6 avril 1984 par une tentative sanglante de putsch.

Les nordistes

Pour la première fois, l'armée est, à cette occasion, sortie de ses casernes. Les Camerounais, inquiets, sentent obscurément qu'ils peuvent encore avoir à vivre de nouvelles heures sombres. Pourtant, à la fin de 1983, le problème de la succession d'Ahmadou Ahidjo semble en voie de normalisation. L'ancien chef de l'État a démissionné de la présidence du parti unique, l'UNC (Union nationale camerounaise), et Paul Biya lui a tout naturellement succédé.

Successeur constitutionnel, chef du parti, le président Biya entend légaliser son pouvoir. Candidat unique, il est élu le 14 janvier 1984 à la présidence de la République, avec 99,98 % des voix. Ce score surprend : le nouveau leader camerounais clame en effet haut et fort sa volonté de démocratisation et de changement.

La cassure

Devenu le maître incontesté du pays, le président ne se doute pas de la fragilité de son succès. En quelques semaines, après bien des hésitations, il prend deux décisions déterminantes pour l'avenir du Cameroun. L'une est la suppression du poste de Premier ministre, entérinée par l'Assemblée nationale. Les nordistes, écartés du pouvoir, crient à la spoliation, car le poste de Premier ministre, détenu par l'un des leurs, maintenait les apparences d'équilibre ethnique, depuis que le sudiste Biya avait accédé à la première magistrature de l'État.

Ce mécontentement tourne à l'hostilité en février, à l'issue du jugement et de la condamnation à mort — par contumace — de l'ancien chef de l'État, Ahmadou Ahidjo. Grave erreur, qui précipite les événements. Composée en majorité de nordistes, la garde nationale, à laquelle emboîtent le pas des éléments de la police, se rebelle.

Le légalisme de l'armée, et particulièrement de son chef, le général Semengue, évite que la troupe ne bascule dans la rébellion. Mais le pouvoir civil camerounais a beaucoup perdu de sa crédibilité et de son indépendance.

Les combats durent deux jours entre l'armée et les mutins. Puis, pendant une semaine, les quartiers haoussas — nordistes —, dans lesquels se sont réfugiés les mutins, sont le théâtre d'impitoyables et sanglantes chasses à l'homme.

Crise de confiance

La rivalité ethnique n'est pas seule en cause.

L'épreuve de force illustre aussi d'autres blocages de la société camerounaise. Car, réalisé par des militaires, le putsch a été fomenté et financé par des hommes d'affaires — nordistes et sudistes — qui estimaient avoir tout à perdre d'une moralisation et d'une modernisation que Paul Biya prônait. La personnalité du chef de l'État, idéaliste et hésitant, laisse planer la menace d'un interventionnisme croissant des militaires.

Le Cameroun n'a pas retrouvé la sérénité, malgré des atouts incontestables. Il est, lui aussi, devenu un pays à risques. Pourtant, ce pays de 9 millions d'habitants, pratiquement autosuffisant sur le plan agricole, possède des élites de valeur, une classe d'hommes d'affaires industrieux et une production pétrolière (6,5 millions de t en 1984) qui lui permet de bénéficier d'une bonne santé économique, phénomène bien rare en Afrique.

Il est vrai que le Cameroun d'Ahidjo avait totalement délaissé toute politique sociale. Le nouveau régime, qui veut s'y atteler, est obligé de le faire au moment où les recettes pétrolières stagnent, où la crise mondiale empêche de prévoir une mise en exploitation rapide de l'énorme gisement gazier de Kribi, et où l'incertitude politique a entamé la confiance des investisseurs étrangers.

Laxisme

Après avoir tant décrié la poigne de fer d'A. Ahidjo, les Camerounais se plaignent du laxisme de son successeur. Certains souhaitaient, il y a quelques mois encore, ouvrir la voie à un multipartisme à la sénégalaise. Les difficultés de politique intérieure semblent pousser P. Biya à abandonner cette idée.