On peut même prévoir que Pretoria ne verra pas d'objection majeure à ce que cette indépendance se fasse sous la houlette de la SWAPO, le mouvement de guérilla nationaliste à coloration marxisante de Sam Nujoma. L'exemple zimbabwéen démontre que les demi-mesures ne sont pas payantes. Et on estime au State Security Council que la dépendance économique de la Namibie à l'égard de l'Afrique du Sud est telle que toute rupture signifierait l'étranglement de l'ancien territoire sous mandat.

Simplement, il s'agit de marchander cette indépendance au plus haut tarif possible, en obtenant en échange le départ des troupes cubaines d'Angola, ou tout au moins leur réduction substantielle. C'est sur cette question du linkage (« lien »), qui a la faveur discrète de l'administration Reagan, qu'achoppent depuis six ans toutes les discussions menées à propos de la Namibie.

Le dilemme angolais

Le régime marxiste de José Eduardo Dos Santos est-il prêt à envisager le départ des 25 000 à 35 000 soldats cubains qui stationnent sur son sol ? En théorie oui, puisque leur présence était jusqu'ici justifiée par la menace, réelle, d'une nouvelle invasion sud-africaine, mais, depuis les accords de Lusaka (16 février 1984), cette menace n'existe apparemment plus. En pratique, cela n'est pas évident, car les autorités de Luanda doivent affronter l'un des mouvements de guérilla les mieux structurés et les plus dynamiques du continent, l'UNITA de Jonas Savimbi.

Créée en 1966, à l'époque de la lutte contre le colonisateur portugais, l'UNITA était au bord de l'effondrement en 1975. L'Afrique du Sud, dans le cadre de sa stratégie de déstabilisation, a puissamment contribué à sa résurrection. Au point que J. Savimbi peut aujourd'hui se passer presque totalement de l'appui matériel de son puissant parrain.

La capacité de résistance des forces gouvernementales (60 000 à 80 000 hommes, plus 25 000 à 30 000 Cubains) est toujours sujette à caution. L'énorme travail de réorganisation mené depuis deux ans par le général Henrique Teles Iko Careira n'a pas encore donné de résultats probants. Sur les dix régions militaires que compte l'Angola, seules trois sont aujourd'hui entièrement contrôlées par les forces gouvernementales.

Reste que 1985 ne sera pas l'année de la victoire totale de l'UNITA : s'il est aisé de contrôler la campagne, il est beaucoup plus difficile de tenir une ville face aux raids aériens. Surtout que, contrairement au MPLA au pouvoir, le mouvement de Jonas Savimbi n'a jamais eu une assise urbaine importante. La « bataille des villes » que prévoit le leader rebelle sera à cet égard un test déterminant, à moins que d'ici là ne survienne une négociation, de plus en plus perçue comme inévitable.

Stabilisation au Zimbabwe

S'il reste en Angola une négociation à nouer, le dialogue est depuis longtemps rompu au Zimbabwe. Les relations conflictuelles entre la ZANU de Robert Mugabe, au pouvoir, et la ZAPU de Joshua Nkomo, qui ont empoisonné les trois premières années de l'indépendance, semblent s'orienter en 1984 vers une victoire du Premier ministre et de ses partisans. La rébellion du Matabeleland a été écrasée au prix de 5 000 morts. La concentration du pouvoir devient de plus en plus évidente et le parti unique existe déjà dans les faits. Ainsi, le Zimbabwe est déjà devenu un État africain « comme les autres ».

La stabilité du régime, soumis pourtant aux pressions de l'Afrique du Sud, est un atout non négligeable pour Robert Mugabe, qui appartient à l'ethnie largement dominante des Shonas. Nombre de Blancs ont quitté le Zimbabwe : ils étaient 200 000 en 1980, ils sont aujourd'hui moins de 80 000, mais le pouvoir table sur un chiffre plancher de 50 000, au-dessous duquel commenceront à se poser réellement des problèmes d'encadrement technique et de production agricole.

On peut donc estimer qu'il ne fera rien pour inciter au départ ceux qui, pour l'instant, ont choisi d'être des « Zimbabwéens blancs ». Pragmatisme oblige, la socialisation économique du pays n'est pas pour demain. D'autant que la puissante Afrique du Sud, qui détient la plupart des clefs économiques de cet État totalement enclavé, n'hésiterait pas à étouffer un jeune voisin dont la diplomatie est parfois un peu trop militante à son goût.

Realpolitik au Mozambique

Pour le régime du maréchal Samora Machel et pour bon nombre de ses concitoyens, l'accord de Nkomati apparaît comme un ballon d'oxygène. Disette, désorganisation économique, effondrement de l'autorité centrale : tous ces maux et quelques autres ont poussé le Mozambique à aller très loin dans la réconciliation avec Pretoria. Maputo a donc discrètement procédé à l'expulsion des militants de l'ANC installés sur son territoire. Et s'est engagé à ne plus servir de refuge pour les nationalistes sud-africains. Surtout, Samora Machel espère un tarissement progressif des activités du mouvement de guérilla anticommuniste RNM (Résistance nationale mozambicaine), largement alimenté par Pretoria et dont l'assise locale est moins solide que celle de l'UNITA angolaise. Certes, le régime mozambicain demeure officiellement marxiste-léniniste, même si ses relations avec l'URSS ne sont plus ce qu'elles étaient. Certes, il demeure, à toutes les instances internationales, l'un des plus violents détracteurs du système de l'apartheid. Mais chacun sait que la morale et les grands principes n'ont jamais fait bon ménage avec la Realpolitik.