Évidemment, la principale caractéristique de ce gouvernement d'union nationale, où coexistent des idéologies antagonistes, est son extrême fragilité. Dès sa constitution, nombre d'observateurs de la politique israélienne ne lui accordent qu'un bref sursis. L'un des motifs de leur pessimisme est la participation du bouillant général Ariel Sharon au cabinet restreint, avec le portefeuille relativement important de l'Industrie et du Commerce.

On estime, en effet, que le stratège de la guerre du Liban, évincé après les massacres des camps palestiniens de Sabra et de Chatila en septembre 1982, s'avérera être, tôt ou tard, le cheval de Troie qui conduira, par son intransigeance, le gouvernement d'union à sa perte.

Fiasco économique

Pourtant, l'urgence de la situation sur le plan économique va, provisoirement en tout cas, servir de ciment au fragile assemblage. Au lendemain même de l'investiture, le jeudi 13 septembre, de son gouvernement, S. Pérès prend connaissance du chiffre de l'augmentation du coût de la vie pour le mois d'août : 16,5 %. Une hausse qui allait faire franchir allègrement la barre des 400 % d'inflation par an.

Aux grands maux, les grands remèdes : à une situation économique catastrophique, Shimon Pérès répondra par un plan d'austérité draconien. C'est que l'assainissement de l'économie est la condition sine qua non d'une aide financière américaine, indispensable pour renflouer les réserves israéliennes en devises. Dès sa première réunion à la mi-septembre, le gouvernement d'union annonce donc simultanément une réduction du budget de 1 milliard de dollars et une dévaluation de 9 % de la livre israélienne. En novembre, prix et salaires sont bloqués, pour trois mois.

Mais la tâche reste immense. Alors que la croissance a été nulle en 1983, la dette extérieure dépasse 23 milliards de dollars et les réserves en devises étrangères sont tombées à 2,4 milliards, soit l'équivalent de moins de deux mois d'importations. Autre conséquence du marasme et de la récession : 85 000 Israéliens sont au chômage à l'automne, soit 5,9 % de la population active.

Pour tenter de redresser la barre, Shimon Pérès et Itzhak Shamir misent sur un homme providentiel : Yitzhak Modaï, 57 ans, le nouveau ministre des Finances. Cet ingénieur chimiste, qui fut successivement chef du Parti libéral et ministre de l'Énergie depuis la victoire du Likoud en 1977, est un inconditionnel de la productivité, de la croissance et un adversaire acharné des subventions publiques. Des conceptions qui ne vont pas faciliter ses relations avec les responsables de la puissante centrale syndicale Histadrout...

Le bourbier

Le Liban est l'autre grand défi à relever. Outre son coût financier (quelque 2,5 milliards de dollars, soit un dixième de la dette extérieure), l'intervention au Liban s'est soldée par environ 600 morts et 3 000 blessés. Or, rien n'est résolu pour autant : l'accord de sécurité conclu entre Jérusalem et Beyrouth en mai 1983 a été abrogé peu après par le président Amine Gemayel au retour d'une visite à Damas. Les fedayin palestiniens reviennent peu à peu dans la banlieue même de la capitale libanaise, et, dans le sud du pays, la résistance armée contre l'occupation israélienne se déchaîne.

Sous la pression d'une opinion publique de plus en plus lasse de cette guerre interminable, coûteuse et finalement inutile, le nouveau gouvernement s'attache, dès sa nomination, à sortir du bourbier libanais. À la grande satisfaction des États-Unis, qui entendent revenir en force sur la scène diplomatique du Proche-Orient, Jérusalem renonce même, en septembre, à sa principale exigence : le retrait simultané des troupes israéliennes et syriennes. L'idée du ministre travailliste Yitzhak Rabin est de remplacer au Sud-Liban Tsahal (l'armée de l'État hébreu) par les casques bleus de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), dont les effectifs seraient substantiellement renforcés. Et d'encourager, idée surtout chère au Likoud, l'Armée du Liban libre de leur allié chrétien libanais le général Antoine Lahad, successeur du major Haddad. Des négociations israélo-libanaises s'engagent à Nakoura, en novembre.

Projets diplomatiques

C'est le troisième sujet prioritaire pour le tandem Pérès-Shamir, celui, probablement, dont il faut attendre le moins de résultats spectaculaires. Le leader travailliste ne manquerait pas d'idées dans ce domaine. On lui prête d'ambitieux projets diplomatiques en direction de la Jordanie et de l'Égypte. Son principal objectif : une restitution partielle de la Cisjordanie au roi Hussein. Évidemment, la seule évocation d'un tel compromis consistant à céder une partie de ces territoires « bibliques », que le Likoud ne désigne que sous les noms de « Judée » et de « Samarie », provoque l'indignation des amis d'Yitzhak Shamir. On imagine donc mal que ce gouvernement d'union puisse échapper, sur ce chapitre ultrasensible des négociations de paix et des territoires occupés, à un certain immobilisme. L'union ne fait pas toujours la force...