Plus encore qu'un gain stratégique et économique (la bande d'Aouzou qu'il occupe depuis 1973 recèlerait des minerais rares), le dirigeant libyen recherche la reconnaissance par les grandes puissances de son rôle sur la scène internationale. Déjà en avril, pour provoquer les États-Unis, il menace d'offrir des bases permanentes à l'URSS, son principal fournisseur d'armement.

Avec la France, dont il a naguère apprécié les efforts en faveur d'une troisième voie, le dialogue, même conflictuel, lui importe « plus que l'avenir du régime tchadien ». Durant toute l'année, il alterne les offres d'un « retrait immédiat, total et concomitant » (12 mai) et les menaces d'une « débâcle pire que celle de Diên Biên Phu » (1er septembre). C'est la première attitude qui prévaut le 17 septembre, avec l'annonce d'un accord franco-libyen de retrait militaire du Tchad.

Désordre politique

Les difficultés internes comptent beaucoup dans la volonté libyenne de conciliation, si éphémère soit-elle. Comme les années précédentes, le régime poursuit la lutte contre les exilés — près de 50 000 personnes. L'explosion d'un colis piégé à Londres, le 10 mars, fait 23 blessés, militants de l'Union constitutionnelle, et Kadhafi « ordonne à tout citoyen de liquider les ennemis de la révolution ». Le 17 avril, un membre de l'ambassade à Londres tire sur un groupe d'opposants et tue un policier. Mais, en Libye même, les événements sont plus graves encore : explosion dans un dépôt de munitions, le 25 mars ; émeutes dans des supermarchés, en avril ; et, le 8 mai, attaque par un commando de la caserne Bab al-Azizia à Tripoli, résidence du colonel.

L'opposition au régime apparaît parmi les dirigeants militaires, en particulier, menacés dans leur pouvoir et leurs privilèges par l'exercice de la démocratie directe réclamée par le Guide devant le Congrès général du peuple réuni en février. Elle se développe dans les milieux conservateurs, heurtés par la rupture avec le code culturel traditionnel et par l'émancipation des femmes : des Frères musulmans sont emprisonnés et même pendus au début de juin. Enfin, les défenseurs de la propriété privée se mobilisent contre la nationalisation du commerce de détail, décrétée le 26 avril.

Aventurisme au-dehors et autoritarisme à l'intérieur sont plus difficilement supportés depuis que les revenus du pétrole (99 % des ressources du pays) ont chuté de moitié en trois ans. D'immenses chantiers sont suspendus ; les salaires sont bloqués ; la pénurie menace un pays jusqu'alors autosuffisant au plan alimentaire. Le Guide de la révolution proclame dans un moment d'exaltation « Nous n'avons plus ni État, ni gouvernement, ni exploiteurs », mais les Libyens attendent qu'il soit l'artisan d'une gestion raisonnable de leurs intérêts.

Élisabeth Picard

Maroc

Hassan II mène le jeu

Le maintien d'une monarchie au Maroc ne serait-il dû qu'à l'extrême habileté, politique et diplomatique, du roi Hassan II ? On pourrait s'en convaincre, en examinant le comportement du souverain face aux trois événements majeurs qui ont marqué l'année 1984 : les sanglantes émeutes de la misère, l'union avec la Libye et les élections législatives.

Émeutes de la faim

Depuis début janvier, l'agitation règne dans les milieux lycéens, entretenue par des mouvements de grève. Mais c'est à Nador, petite ville méditerranéenne de la province du Rif, longtemps insoumise, qu'éclatent, à partir du 18 janvier, les plus violentes émeutes. Al-Hoceima, puis Tétouan sont gagnées par la contestation, que l'armée, appelée en renfort, s'emploie à réprimer sévèrement. Le bilan officiel, après trois jours d'affrontements, s'élève à 29 morts et 114 blessés. En réalité, et selon plusieurs témoignages concordants, il serait beaucoup plus lourd. Pour le roi Hassan II, qui intervient à la télévision le 22 janvier au soir, les troubles, téléguidés de l'étranger (l'Iran est nommément cité), sont imputables « aux marxistes-léninistes et aux services de renseignements sionistes », dans le but de faire échouer le Sommet arabe tenu, au même moment, à Casablanca.