Philippe Rondot

Soudan

Menaces sur Khartoum

L'application à la lettre de la charia, la loi coranique, la nouvelle rébellion armée au Sud et le recours à une aide extérieure militaire et économique accrue, tels sont les trois traits qui caractérisent l'évolution de la situation dans une année marquée par le quinzième anniversaire du coup d'État du 25 mai 1969 qui amena le maréchal Nemeiry au pouvoir.

L'islamisation

Conformément aux principes de la concertation islamique (choura), le président soudanais dissout le conseil des ministres et crée un conseil de la République, qui comprend le chef de l'État, le procureur général de l'Union socialiste soudanaise (USS, parti unique) et plusieurs autres personnalités. Ce qui est perçu comme un prélude à la proclamation prochaine d'une constitution et d'une république islamiques. Par ailleurs, le président soudanais dépose, devant l'Assemblée du peuple, une série de projets d'amendements à la Constitution, pour parachever l'islamisation du pays.

Loi coranique contestée

Le chef de l'État soudanais décide, le 3 mai, de prolonger pour une durée illimitée l'état d'urgence qu'il a décrété le 29 avril. La charia est appliquée dans toute sa rigueur. L'exécution des sentences est instantanée et généralement publique. En un an, 58 personnes sont condamnées à l'amputation et 32 sentences sont exécutées.

Cependant, le 12 juillet, deux mois après la proclamation de l'état d'urgence, les débats de l'Assemblée sont suspendus sur un amendement de la Constitution très controversé, qui prévoit de faire de la charia « l'unique source de la loi » et de confier la magistrature suprême à un « homme de foi versé dans l'exégèse coranique », ce qui en exclurait tout candidat du Sud, peuplé d'animistes et de chrétiens. L'opposition des 27 députés du Sud, pourtant loyalistes, les accusations de « fanatisme » venues de l'extérieur et l'hostilité des courants islamiques intérieurs (mahdistes, joumhouriyun) expliquent ce revirement. Le vice-président (sudiste et chrétien) aurait même déclaré publiquement qu'il préférerait vivre sous un régime communiste que sous celui de la charia.

Néanmoins, Khartoum vote son premier budget islamisé, s'apprête à fonder sa fiscalité sur la zakat (impôt islamique), et déjà plusieurs banques fonctionnent selon les règles islamiques.

Rébellion sudiste

Pour désamorcer la contestation armée sudiste, le président de la République annonce, le 22 septembre, qu'il pourrait renoncer à la division du Sud-Soudan en trois régions, pour rétablir une région autonome unique. Le Sud est peuplé de 6 millions d'habitants (sur un total de 20 millions de Soudanais) : 1 million de chrétiens et 5 millions d'animistes, répartis en une cinquantaine d'ethnies qui s'expriment en une centaine de dialectes différents. Érigé en 1972 en région autonome, le Sud disposait, au terme d'une guerre civile meurtrière de 18 ans, d'un parlement régional siégeant à Juba. La décision prise par Khartoum, en 1981, de construire une raffinerie dans le Nord pour exploiter d'importants gisements pétroliers découverts dans le Sud ressuscite les vieux démons. La dissolution du parlement régional, la division de la région autonome, l'application de la charia font déborder la coupe.

Commandée par le colonel John Garang, l'APLS (Armée populaire de libération du Soudan), qui s'est créée en 1983, multiplie, dans le Sud, les coups de main contre les garnisons militaires et les chantiers. Se déclarant marxiste-léniniste, elle prône la guerre révolutionnaire non seulement dans la partie méridionale du pays, mais dans le Soudan tout entier. Une embuscade tendue par l'APLS aurait coûté, le 27 août, la vie à 274 soldats, qui patrouillaient en bateau à vapeur sur la rivière Sobat (haut-Nil).

La détérioration de la situation dans le Sud intervient dans un contexte régional marqué par un regain de tension entre Khartoum d'une part, Tripoli et Addis-Abeba de l'autre.

Soutien occidental

Le mystérieux raid aérien du 16 mars, qui fait 5 morts à proximité du siège de la radio soudanaise à Oumdurman (au nord de Khartoum), suscite une vive inquiétude en Égypte et aux États-Unis, alliés du régime de Nemeiry. Au lendemain de cette attaque, attribuée sans preuve à la Libye, deux avions de transport militaire américains gros porteurs acheminent d'importants armements égyptiens vers le Soudan.