D'où l'énormité des sommes désormais en jeu pour assurer leur équilibre financier : il aura fallu prélever sur le budget 12,9 milliards de F en 1975, 14,6 milliards en 1976. La charge supportée par l'État a ainsi doublé depuis 1972, et l'évolution se poursuit : en 1977, les seuls concours à la SNCF et à la RATP devaient atteindre 11,4 milliards, c'est-à-dire plus de la moitié des sommes versées par l'État aux entreprises publiques.

SNCF

Ces milliards ne correspondent évidemment pas à la seule addition des déficits : ils comprennent aussi la compensation des charges imposées par l'État. Il est donc malaisé de trouver des responsables évidents : gestionnaires déficients, pouvoirs publics incohérents, conjoncture défavorable, etc. Le cas de la SNCF illustre bien le problème.

C'est la plus budgétivore de toutes les entreprises publiques, puisqu'elle aura puisé, à elle seule, 12,2 milliards de F dans la caisse publique en 1976. Mais, là-dessus :
– 4,4 milliards ont été versés à la Caisse de retraites de la Société nationale. C'est là un héritage du passé, et la qualité de la gestion n'a rien à y voir (sinon que l'effort de productivité a aggravé le déséquilibre démographique entre retraités et actifs, le nombre de ceux-ci ayant baissé de 100 000 en 15 ans) ;
– 2,3 milliards de contributions aux charges d'infrastructures sont destinés à mettre la SNCF sur un pied d'égalité avec les autres modes de transports, qui participent très peu au financement des infrastructures qu'ils utilisent ;
– 2,9 milliards ont remboursé les missions de services publics imposées par l'État (tarifs réduits, exploitation des lignes non rentables, banlieue parisienne) ;
– 1,4 milliard est venu compenser l'insuffisance tarifaire : outil au service de la politique gouvernementale, la SNCF en fait évidemment les frais lorsqu'il s'agit de freiner l'évolution des prix. Il est normal qu'elle en soit dédommagée.

Reste 1,2 milliard, qui représente le vrai déficit de la Société nationale. La médiocre performance du trafic des marchandises, toujours inférieur, en 1976, à son niveau de 1974, y est pour quelque chose, dans une entreprise dont les coûts fixes sont considérables. Les dirigeants de la SNCF peuvent d'ailleurs faire valoir que leur situation serait plus favorable si les pouvoirs publics avaient, comme ils s'y étaient naguère engagés dans la convention qui règle les rapports État-SNCF, opéré un rééquilibrage des trafics entre le rail et la route, notamment pour les moyennes distances.

De même, on peut penser que le fait de vivre en état de sous-tarification permanent a des répercussions malsaines sur la gestion, en dépit de toutes les compensations du monde ; on assure, en tout cas, à la SNCF, qu'une hausse de 10 % de la tarification intervenue dès 1974 aurait abouti à des exercices équilibrés depuis.

Air France

Telle est la complexité de la question. Encore l'exemple de la SNCF est-il celui de l'entreprise dont les rapports avec l'État sont les plus clairs. Il n'en va pas toujours ainsi. Cas type : Air France. Sa ponction dans le budget a quintuplé depuis 1972. Son déficit a été de 420 millions de F en 1975, puis de 240 millions en 1976 (+ 200 millions pour l'exploitation de Concorde, qui fait l'objet de comptes séparés).

Si l'on compare la gestion d'Air France avec celle des compagnies étrangères, on y trouve effectivement des coûts anormalement élevés, comme, semble-t-il, celui du personnel navigant commercial. En revanche, la compagnie met en avant les charges que lui impose plus ou moins directement l'État : exploitation de lignes politiques non rentables (ce que contestent les pouvoirs publics) ou à tarifs anormaux (et sans compensation), partage de l'exploitation entre Orly et Roissy (avec doubles emplois et évasion de la clientèle en faveur des compagnies restées à Orly), maintien d'un parc de Caravelle vieilli et ruineux (dans l'attente d'un éventuel moyen-courrier français ou européen), etc.

Dans un tel flou, difficile de savoir si les résultats d'Air France sont dus ou non à sa gestion. Le débat aura eu au moins le mérite d'aboutir à la nomination, en février, par Raymond Barre, d'une mission chargée de redéfinir en toute clarté les rapports entre la compagnie et l'État. C'est le préalable à l'effort de redressement demandé à Air France.