Depuis vingt ans, les chantiers navals avaient dû faire face à l'énorme accroissement de la flotte mondiale, passée de 100 millions de tjb (tonneaux de jauge brute) à 342 millions en 1975, en raison surtout de l'essor de la flotte pétrolière dont la part, dans le même laps de temps, croissait de 25 % à 50 %. Trois vagues d'investissements ont mis la construction navale en mesure de satisfaire cette augmentation des besoins : au Japon, vers le début des années 60 ; en Europe et au Japon encore, à la fin de cette même décennie ; dans le tiers monde, l'Europe socialiste et aux États-Unis au début des années 70. Résultat : les chantiers du monde peuvent lancer aujourd'hui un tondage annuel huit fois plus important qu'il y a vingt an, c'est-à-dire 40 millions de tjb.

Dumping

Le drame, c'est que depuis 1974 la crise pétrolière et la récession économique ont provoqué la réduction des échanges internationaux et rendu la flotte mondiale excédentaire de 20 % environ ; près de 500 navires étaient même désarmés à la fin de 1975. Dans ces conditions, le temps n'est plus où les armateurs se disputaient aux portes des chantiers, pour des commandes livrables quatre ou cinq ans plus tard. Au contraire, on a enregistré près de 200 annulations en 1975, et le carnet mondial ne cesse de se dégonfler (de 40 % en une année). Mais le pire est à venir : jusqu'en 1980, estime-t-on, les capacités de production de la construction mondiale resteront excédentaires de 50 % aux besoins de l'armement, même dans le cas d'une reprise du commerce international.

Or, ces 50 % de capacité, un pays les réunit désormais à lui seul. Le Japon possède, en effet, les moyens de réaliser en totalité les 20 millions de tjb annuels que l'on prévoit pour les prochains exercices, et ses chantiers ont déjà entamé une politique de dumping pour y parvenir : en 1975, leurs tarifs ont été baissés de 25 % à 40 % et l'on cite même le cas de certains pétroliers soldés à 50 %. À la fin de l'année, cette politique portait déjà ses fruits, puisque les chantiers nippons raflaient 75 % des contrats passés en novembre et 89 % de ceux qui avaient été passés en décembre.

Diversité

Au milieu de ce cataclysme, la construction navale française fait relativement bonne figure, du moins pour le présent. Si son carnet s'est réduit de 20 % en 1975, il lui assure un niveau d'activité plutôt meilleur et pour plus de temps que dans les autres pays constructeurs. L'annulation des commandes de quatre gros pétroliers a pu y être compensée par dix navires destinés à l'armement français — conséquence heureuse du plan de développement de la flotte française. Nos chantiers ont aussi comme atouts la diversité et la spécialisation de leur activité. Dans leur carnet, et si l'on calcule en tonnage pondéré (selon le type de navire, la même unité de tjb ne représente ni le même temps de travail ni la même valeur), les pétroliers n'entrent que pour 11 %, tandis que les cargos porte-conteneurs et les navires rouliers en font 20 %, les transporteurs de gaz et de produits chimiques 67 %.

Ces particularités ne suffiront pourtant pas à assurer l'activité au-delà de 1977-1978. Il semble exclu que l'armement national puisse compenser l'éventuelle défaillance des commandes étrangères, vu l'importance de celles-ci dans le carnet actuel (65 % en tjb). Quant au monopole français de naguère dans le secteur des transporteurs de gaz, il a disparu depuis que Japonais et Américains s'y sont lancés à leur tour.

Restructurations

Comme lors des crises passées, l'inquiétude pousse aux restructurations. Un premier accord de coopération industrielle et commerciale, au début de 1976, liait les Chantiers de l'Atlantique et ceux de La Ciotat, qui feront peut-être un jour ensemble les futurs navires nucléaires. Deux mois plus tard, l'annonce d'une fusion entre les Chantiers de l'Atlantique et Alsthom faisait naître le premier grand groupe français conçu à la japonaise autour de trois activités assez bien complémentaires : construction navale, construction mécanique et construction électrique. C'était, pour les experts, le coup d'envoi d'une nouvelle série de rapprochements.