Le lobby pro-SST, appuyé par les syndicats, avait lancé une campagne intensive. Il avait notamment publié des pages entières de publicité dans les journaux pour promouvoir ses arguments : la création d'un long-courrier supersonique permettrait aux États-Unis de rester en tête de la construction aéronautique dans le monde et de résorber le marasme que celle-ci connaît actuellement aux États-Unis. De plus, un SST vendu à l'étranger compenserait l'importation de 20 000 petites voitures allemandes ou de 200 000 téléviseurs japonais.

Mais rien n'y fit. La majorité des parlementaires fut plus sensible aux idées défendues par le groupe de pression hostile à l'avion supersonique : les deux prototypes construits par Boeing et la General Electric, rappelait-on, avaient déjà englouti 865 millions de dollars. Pourquoi continuer à dépenser de telles sommes pour permettre à quelques privilégiés de gagner deux à trois heures sur la traversée de l'Atlantique ? Pourquoi ne pas établir un nouvel ordre de priorités ? Pourquoi ne pas consacrer des crédits aussi massifs à d'autres tâches plus urgentes, telles la guerre contre la pauvreté ou la reconstruction des villes ?

Le SST constitue un danger pour l'environnement, ajoutaient d'autres voix : son bang dépasse les limites du bruit tolérable ; l'appareil devra consommer trois fois plus de carburant qu'un Boeing 747 et il polluera l'atmosphère de façon irréparable.

Les accusations portées par les adversaires du SST, fondées ou non, ne sont évidemment pas restées sans effet à un moment où les problèmes posés par les abus de la civilisation industrielle commencent à préoccuper de larges couches de l'opinion américaine.

Calley

Après avoir, pendant plusieurs mois, gardé des dimensions relativement modestes, une affaire va, tout à coup, préoccuper la nation et servir de révélateur à son malaise : le procès du lieutenant William Calley.

On se souvient des faits : au cours d'une opération de nettoiement, plus de 100 civils sud-vietnamiens, y compris des femmes et des enfants, avaient été tués, le 16 mars 1968, par les soldats d'une unité américaine, dans l'un des hameaux du village de Song My (My Lai) [Journal de l'année 1969-70]. Les faits n'ont été révélés qu'un an après par un ancien combattant. Le lieutenant Calley, jeune officier de vingt-sept ans, qui aurait ordonné le massacre de sang-froid, a été inculpé en septembre 1969. Son procès en cour martiale s'ouvre le 16 novembre 1970 à Fort Benning, en Géorgie. Il va durer quatre mois.

Des quelque 100 témoignages entendus par les six jurés, certains sont accablants pour l'accusé, mais ce dernier se retranche derrière un système de défense simple et prévisible : « Mon supérieur direct, le capitaine Ernest Medina. m'avait affirmé que les civils qui n'avaient pas quitté cette région devaient être considérés comme des ennemis, dira-t-il. On m'a appris que tous les ordres donnés étaient censés être légaux. On m'a expliqué aussi que si je recevais un ordre qui me paraissait injustifié, je devais l'accomplir d'abord et poser des questions ensuite ». Le lieutenant admettra qu'il était « extrêmement désorienté » en arrivant au Viêt-nam, mais qu'ensuite il n'avait plus tenu compte de l'âge ou du sexe de l'ennemi en puissance. « La plupart des femmes sont de meilleurs tireurs que les hommes et les enfants sont très forts pour mettre en place des pièges et des mines », commentera-t-il.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de Calley, George Latimer, tout en soulignant l'insuffisance de la formation reçue par le lieutenant et ses pairs, affirme que le jeune officier n'a rien fait de plus que « le travail qu'on lui avait demandé de faire ». Quant au procureur, un capitaine de vingt-neuf ans, Aubrey Daniel, il déclare dans son réquisitoire : « Calley a pris sur lui d'exécuter sommairement les civils de Song My. Même s'il avait reçu l'ordre de tuer, ce qui n'est pas prouvé, cet ordre était illégal et l'obéissance d'un soldat ne doit pas être celle d'un automate. »

Le 29 mars, après treize jours de délibérations, le jury reconnaît Calley coupable de « meurtre avec préméditation » sur la personne d'au moins 22 civils vietnamiens. Le 31 mars, il le condamne à la prison à vie (le lieutenant encourait également la peine capitale). La sentence est automatiquement sujette à une longue série d'appels, devant les autorités militaires d'abord, les cours civiles ensuite, et éventuellement la Cour suprême et la présidence.