Dans cette phase de la vie publique, plus que dans la précédente, le grand architecte reste le roi Hassan II.

Pour son 41e anniversaire, début juillet, il annonce lui-même au peuple les traits essentiels du projet constitutionnel qui doit faire l'objet d'un référendum. L'état d'exception, en vigueur depuis le 7 juin 1965, avait entraîné un blocage des institutions. Le souverain a voulu les remettre en marche, en s'entourant de certaines précautions contre les secousses possibles.

La nouvelle constitution prévoit une Chambre des représentants, instance législative unique, forte de 240 membres, la moitié étant élus au suffrage universel direct, l'autre moitié par les conseils communaux, provinciaux et professionnels. Ce système a pour premier résultat de provoquer la réaction négative des deux formations d'opposition ayant conservé la plus large audience, l'Istiqlal de Allal el Fassi, au centre droit, et l'UNFP (Union nationale des forces populaires), à gauche. En dépit du pourcentage des « oui » (97,8 %) au référendum du 24 juillet 1970, alors qu'elles avaient recommandé de voter « non », l'une et l'autre décident de boycotter les élections du 23 août. Franchissant un pas de plus, les deux partis enterrent leurs vieilles discordes et s'allient dans un Front national, dont la charte réclame une réforme agraire, ainsi que la nationalisation des secteurs clés de l'économie.

La consultation électorale ne s'en déroule pas moins dans le calme et donne naissance à une Chambre où les indépendants détiennent 159 sièges. Le Mouvement populaire, de Mehjoubi Aherdane, qui avait rejeté toute idée de boycott, compte 60 députés. Bien plus dépolitisée que ne l'est le pays, cette Assemblée n'a guère d'effet sur la composition du gouvernement de Ahmed Laraki, à ceci près qu'elle choisit pour président Abdelhadi Bouttaleb, libérant ainsi le portefeuille des Affaires étrangères, lequel revient au Dr Youssef Bel Abbès.

Au même moment éclate un procès qui suscite les vives protestations de l'Association des barreaux du Maroc, celui de Mohamed Berrada, directeur de l'Opinion, quotidien de l'Istiqlal, condamné, en décembre, à un mois de prison ferme, par la cour d'appel, pour atteinte au moral de l'armée.

Complot

De plus graves accusations vont se dessiner peu après. À partir de la mi-janvier, des communiqués successifs signalent un vaste complot contre la sûreté de l'État, « préparé à l'étranger ». Cette dernière précision semble viser Ahmed Benjelloun et Mohamed Ajar, militants de gauche, expulsés d'Espagne un an plus tôt et livrés à la police marocaine.

En mars, les « conspirateurs » sont au nombre de 180, parmi lesquels 120 ouvriers et employés et 18 enseignants. Leur procès s'ouvre le 14 juin devant le tribunal régional de Marrakech. 193 personnes sont inculpées d'atteinte à la sûreté de l'État et 93 seront jugées par contumace. Ce procès semble devoir servir, dans l'esprit des autorités, d'avertissement exemplaire à tous ceux qui prétendent sortir des voles légales d'expression. Et, particulièrement, à l'adresse de la jeunesse étudiante, dont les organisations, très remuantes, ont dénoncé l' « absolutisme » de la constitution, et entretiennent des grèves sporadiques dans les lycées et à l'université.

Dossier classé

Les ultimes séquelles d'une autre, et retentissante, affaire judiciaire sont mises aux oubliettes. Depuis 1965, le rapt, à Saint-Germain-des-Prés, de Mehdi Ben Barka, opposant en exil, et la condamnation subséquente du général Mohamed Oufkir, ministre marocain de l'Intérieur, à la réclusion perpétuelle, par la justice française, avalent gravement affecté les relations entre Paris et Rabat. Dans le courant de décembre, Maurice Schumann effectue une visite dans la capitale chérifienne, célébrée comme la première qui est rendue par un ministre des Affaires étrangères français depuis l'indépendance. En fait, il s'agissait de tourner officiellement la page, et la poignée de main, discrète, mais symbolique, de M. Schumann à M. Oufkir a bien été comprise ainsi.