Le cartel gouvernemental est mal récompensé pour son ardeur. Il a élaboré simultanément une réforme des finances publiques, une reconversion structurelle des régions charbonnières de la Ruhr et de la Sarre, et le plan Leber de réorganisation des transports. Il fait adopter en mai 1968 la législation de l'état d'urgence et une libéralisation du code pénal. Ces textes imposent des amendements constitutionnels, pour lesquels la majorité des deux tiers est requise. La grande coalition l'obtient sans peine.

Le relèvement économique est à lui seul une page de gloire, encore que K. Schiller et F.-J. Strauss, respectivement ministre de l'Economie et ministre des Finances, en aient été les premiers surpris. La récession et le libéralisme erhardien avaient laissé les finances publiques en piteux état. Le trou se creuse en 1967. Les investissements diminuent de 12 %. La taxe à la valeur ajoutée, substituée le 1er janvier 1968, pour des raisons d'harmonisation européenne, à la vieille taxe allemande en cascade, pose aux industriels de sérieux problèmes dès 1967. Malgré les admonestations de Strauss, l'Allemand moyen retrouve ses habitudes d'il y a quinze ans : il roulera deux ans de plus en Volkswagen, fait retourner son meilleur costume et reprend goût à la mauvaise saucisse. En 1967, pour la première fois depuis la réforme monétaire de 1948, les Allemands ont remboursé plus qu'ils n'ont emprunté. La croissance du produit national a été pratiquement nulle.

La politique de K. Schiller de réanimation de la conjoncture exige de l'argent. Le budget de Strauss pour 1968 ne peut économiser que 5,1 milliards, au lieu des 7,2 prévus. On prendra l'argent où il se trouve : la politique de symétrie sociale consistera à imposer au moins autant les gros revenus que ceux des travailleurs et des retraités. Schiller dénonce aussi le désordre des finances publiques. Le bas de laine des collectivités locales parait engloutir les dépenses supplémentaires de l'État. Schiller sort alors les dossiers de la commission Troeger de 1964, qui préconisent une coordination exacte des dépenses de Bonn, des provinces et des communes, au prix d'un peu plus de centralisation et de l'amendement de huit articles de la constitution.

Le ministre socialiste promet la guérison pour 1971, au terme de quatre années de planification financière à moyen terme. Assisté d'un conseil de conjoncture, ce planificateur demande pour l'automne 1967 une deuxième injection financière, qui sera réglée sur un « budget facultatif ». Il en redemande pour 1968. Dans la Ruhr en crise, les extrêmes de droite et de gauche menacent l'hégémonie du SPD. Schiller promet 2 milliards par an jusqu'en 1970 pour les reconversions.

Redémarrage en flèche

Au tournant de l'année 1968, les indices marquent une hausse. Démarrage en flèche : le revenu national réel augmente de 5 % au cours des six premiers mois de 1968. Entre janvier et mars, le nombre des chômeurs a diminué de 200 000. Les exportations subissent une accélération foudroyante. La demande sur le marché intérieur progresse.

Le redressement économique n'empêche pas un climat politique catastrophique. Les institutions, taxées d'autoritarisme, manquent, en fait, d'autorité. En 1967, le chancelier Kiesinger ne s'est pas imposé. Il n'est que le « chancelier de réserve » de la CDU. Il n'a été élu que grâce aux voix de la CSU du Bavarois Franz-Josef Strauss. La CDU a son enfant chéri : Gerhard Schröder, ministre de la Défense, vétéran du cabinet fédéral, dont il est membre depuis 1953. Les partisans de Schröder disent que le chancelier est « satellisé »par le général de Gaulle.

L'étoile du président de la République, Heinrich Lübke, ne cesse de pâlir. Berlin-Est accuse cet ancien ingénieur d'avoir signé des plans de camps de concentration nazis.

Les sociaux-démocrates sont victimes d'une crise de confiance sans précédent. On leur reproche la grande coalition. La progression de Willy Brandt à l'Est est trop lente (un voyage à Bucarest, relations diplomatiques avec la Yougoslavie un an environ après la Roumanie) ; Brandt veut « jongler avec trois boules » : Moscou, Berlin-Est, l'Europe de l'Est. Moscou se fait tirer l'oreille. Berlin-Est se dérobe aux avances du chancelier Kiesinger. Cela déplaît aux impatients du parti de la reconnaissance de la RDA, venus de la gauche du SPD, du FDP ou de la jeunesse intellectuelle, qui ne pardonne rien aux socialistes Brandt et Wehner. Signe de décomposition d'une démocratie : la jeune gauche critique l'ancienne gauche et oublie la droite.