déterminisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin determinare, « borner, limiter », « régler, fixer ».


Le prédéterminisme (théologique) informe le déterminisme de Laplace, mais la sensibilité aux conditions initiales (Poincaré), les mesures statistiques (Boltzmann) et les relations d'incertitude (Heisenberg) conditionnent son application à la résolution des horizons de discernabilité.

Philosophie Antique

Doctrine selon laquelle les êtres naturels sont soumis à une nécessité stricte qui les détermine entièrement et selon laquelle la volonté humaine n'est pas libre.

Bien que la notion de déterminisme soit une notion moderne, il existe dans l'Antiquité des doctrines « déterministes » ou, du moins, un problème du déterminisme. Le terme qui exprime le mieux la notion, dans l'Antiquité, est celui de « nécessité » (anankhê, en grec ; necessitas, en latin). Le déterminisme antique a deux aspects : le déterminisme de la nature et le déterminisme de l'action humaine. Il peut prendre deux formes : un naturalisme (les causes matérielles déterminent inévitablement leurs effets) ou un providentialisme (la divinité prévoit entièrement la chaîne des actions des hommes comme celle des phénomènes naturels). La première forme de déterminisme est celle de l'atomisme de Démocrite et, dans une certaine mesure, celle de la physique d'Empédocle et d'Heraclite, vus tantôt comme des déterministes(1), tantôt comme des indéterministes qui expliquent tout par le hasard(2). La seconde forme est celle du providentialisme stoïcien.

Pour Aristote et Théophraste, ce sont Empédocle et Heraclite qui donnent les meilleurs exemples de philosophies du hasard (tukhê) ou de la spontanéité (automaton). Mais la physique finaliste d'Aristote et l'atomisme d'Épicure, avec sa théorie de la déclinaison, sont d'autres formes d'indéterminisme. La nature aristotélicienne tend vers une fin ou une forme qu'elle ne réalise pas toujours, mais seulement le plus souvent(3) ; les atomes de la physique d'Épicure dévient de leur trajectoire rectiligne à travers le vide de façon imprévisible(4). En fait, à l'exception peut-être de Démocrite, il n'y a guère de forme pure du déterminisme dans l'Antiquité : les stoïciens cherchent à concilier la nécessité du destin et la liberté de la volonté(5). La raison en est essentiellement morale : si l'on admet que tout est soumis à la nécessité, il n'y a plus de place pour la responsabilité humaine. Et si l'on refuse cette conséquence, il faut admettre soit que l'indéterminisme règne jusque dans la nature (Aristote, Épicure), soit que nos propres décisions contribuent à la chaîne du destin (les stoïciens). La problématique restera vivace dans le christianisme, quand saint Augustin introduira le problème du rapport de la grâce et du libre arbitre.

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cicéron, Du destin, 39.
  • 2 ↑ Aristote, Physique, II, 8, 198b31-33 ; Théophraste, Métaphysique, 7a15b8.
  • 3 ↑ Aristote, op. cit., II.
  • 4 ↑ Lucrèce, De la nature, II, 217-220.
  • 5 ↑ Cicéron, op. cit., 39-41.

→ déclinaison, destin, libre arbitre

Morale

Doctrine qui affirme que tous les événements résultent d'un enchaînement de causes ; à terme, le déterminisme a pour effet de nier l'existence de la liberté humaine.

Le déterminisme, en morale, revient à poser que nos actes, dont nous avons le sentiment qu'ils sont l'effet d'une volonté libre, sont en fait le résultat d'une multitude de causes dont nous ignorons simplement l'existence. Ainsi, là où nous croyons être libres, nous sommes en réalité déterminés, ce qui conduit Spinoza, par exemple, à affirmer que la liberté est l'autre nom de l'ignorance où nous nous trouvons des causes qui nous déterminent à agir ; elle est en fait le produit d'une illusion. Dans l'Ethique, (I, pr. 29), Spinoza affirme « qu'il n'est rien donné de contingent dans la nature, mais (que) tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d'une certaine manière ». Spinoza compare l'homme à une pierre, qui ne saurait trouver en elle-même le principe de son mouvement : l'homme n'agit que sous l'effet de causes extérieures qu'il ignore (les désirs, les passions), et il s'impute tout naturellement l'initiative de son action, qu'il qualifie de libre : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent » (Lettre LVIII à Schuller).

Mais à cette pseudo-liberté, Spinoza oppose une liberté authentique, qui n'entre pas en contradiction avec le fait de ne pas être cause de soi, de ne pas être au principe de toutes ses actions. Cette liberté authentique de l'homme a des accents stoïciens, puisqu'elle consiste à accepter librement la nécessité dans laquelle nous sommes inscrits dès lors que nous ne sommes pas Dieu : « Je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité » (Ibid.).

Toutefois, on peut parvenir à distinguer, avec Leibniz, le déterminisme et la nécessité ; que rien n'arrive sans raison ne signifie pas pour autant que rien ne soit libre. Autrement dit, le déterminisme peut s'accorder avec une forme de liberté, ce que Leibniz appelle le « franc-arbitre » – bien que Dieu soit le seul, comme chez Spinoza, à être vraiment libre : « C'est ainsi que Dieu est parfaitement libre, et que les esprits créés ne le sont qu'à mesure qu'ils sont au-dessus des passions ». Leibniz précise plus loin : « le franc-arbitre (...) consiste en ce qu'on veut que les plus fortes raisons ou impressions que l'entendement présente à la volonté n'empêchent point l'acte de la volonté d'être contingent, et ne lui donnent point une nécessité absolue et pour ainsi dire métaphysique » (Nouveaux Essais, livre II, ch. 21). Ainsi, le déterminisme est susceptible de s'arracher à la nécessité qui le renvoyait dos-à-dos à la liberté.

Clara da Silva-Charrak

Notes bibliographiques

  • Leibniz, G.W., Nouveaux Essais sur l'entendement humain, Garnier-Flammarion, Paris, 1990.
  • Spinoza, B., Éthique, trad. Ch. Appuhn, Garnier-Flammarion, Paris, 1965.
  • Spinoza, B., Lettres, trad. Ch. Appuhn, Garnier-Flammarion, Paris, 1966.

→ contingent, destin, liberté, nécessité

Physique

Règle de l'évolution d'un système isolé d'après ses conditions initiales : la reproductibilité technique matérialise l'ordre rationnel.

La proportionnalité de l'effet à sa cause est un principe aristotélicien, et l'idée de solidarité universelle se présente chez les stoïciens ; cependant, la question du déterminisme physique, en tension avec celle du libre arbitre, dérive des apories de la transposition de l'omniscience et de l'omnipotence divines en une hypothèse métaphysique(1), dont la formulation par Laplace constitue la forme radicale : « Nous devons donc envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.(2) » Le Kosmotheoros établit la condition de possibilité d'une objectivation absolue, i.e. l'extrapolation de l'évolution linéaire caractéristique des systèmes isolés à l'histoire de l'univers au nom de la causalité générale, même si l'Essai philosophique sur les probabilités vise à justifier l'application de probabilités à des causalités particulières. Kant récuse cette confusion entre condition transcendantale et projection ontologique en distinguant le déterminisme au sens du principe de la détermination de l'arbitre par la raisons théorique ou pratique, de l'application du principe leibnizien de raison suffisante, ou « prédéterminisme, d'après lequel des actions arbitraires, en tant qu'événements se produisant, ont leurs motifs déterminant dans le temps antérieur (qui, avec tout ce qu'il contient, n'est plus en notre pouvoir) »(3).

De manière autonome, les progrès de la physique vont relativiser la portée du déterminisme en lui intégrant la limitation des conditions d'applications, c'est-à-dire en distinguant l'horizon de discernabilité (information observable) et l'horizon de causalité (limites prédictives) : d'une part, Boltzmann détermine l'évolution macroscopique d'un gaz d'après la modélisation statistique de son état microscopique, en postulant que, pour un système isolé, tous les états microscopiques accessibles sont également probables, i.e. l'indifférence aux conditions initiales, tandis que Hadamard et Poincaré(4) soulignent l'importance de la sensibilité aux conditions initiales d'autres systèmes ; d'autre part, la relativité limite la simultanéité, et les inégalités de Heisenberg fixent la résolution maximale, ruinant définitivement la causalité et la discernabilité infinies que postulait le déterminisme absolu. L'indéterminisme opère l'intégration des probabilités au sein du déterminisme, et non en réaction à son principe : en mécanique quantique, les fonctions d'onde sont parfaitement déterminées (hors mesure). « As a mean of calculating future probabilities the laws form a completely deterministic system ; but as a mean of calculating future observational knowledge the system of law is indeterministic.(5) » Le chaos est une théorie déterministe : la divergence des systèmes dynamiques n'a pas nécessairement un fondement aléatoire.

La science physique est devenu « trans-déterministe », elle articule horizons de discernabilité et horizons de causalité, processus linéaires et phases de décohérence : l'atmosphère, système complexe et sensible pour lequel les prévisions locales et précises ne s'étendent pas au-delà de quelques jours, redevient prévisible à une autre échelle sur de longues périodes (le temps du chaos). Bachelard a insisté sur la relativisation de l'objet par transition entre déterminisme et indéterminisme(6), et montré comment l'expérimentateur double le déterminisme rationnel d'un déterminisme technique, soulignant ainsi, après Duhem(7), la matérialisation des théories par l'instrument de mesure.

Vincent Bontems

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kojève, A., l'Idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne, Librairie générale française, 1990.
  • 2 ↑ Laplace, P. S. (de), Essai philosophique sur les probabilités (1825), « Introduction », Bourgois, Paris, 1986.
  • 3 ↑ Kant, E., la Religion dans les limites de la simple raison, I, « Remarque générale no 3 », 1793.
  • 4 ↑ Poincaré, H., Science et Méthode, Flammarion, Paris, 1908.
  • 5 ↑ Eddington, A., The Philosophy of Physical Science, p. 94. Cambridge University Press, Cambridge, 1939.
  • 6 ↑ Bachelard, G., le Nouvel Esprit scientifique (1934), Vrin, Paris, 1983.
  • 7 ↑ Duhem, P., la Théorie physique (1906), Vrin, Paris, 1993.

→ causalité, indéterminisme, indiscernabilité, probabilité

Psychanalyse

Régime de la causalité des événements psychiques selon la psychanalyse.

La suggestion posthypnotique, par laquelle une personne éveillée applique un ordre reçu sous hypnose, démontre l'efficience d'une représentation non consciente (Traitement psychique, 1890). L'étude des actes manques, régis par des motifs inconscients, le confirme, de sorte que « le phénomène de détermination, dans le domaine psychique, ne présente quand même pas de lacunes »(1). Cette continuité légitime la méthode des associations « libres » dans la cure. Niant la possibilité du libre arbitre, le déterminisme psychique est une atteinte narcissique : sa méconnaissance conduit à projeter les revendications pulsionnelles inconscientes sur le monde extérieur (superstitions, croyance au destin, etc.).

Freud met au jour des déterminismes de portée et de complexité toujours plus grandes : le symptôme hystérique et le rêve sont ainsi surdéterminés (événement infantile et « agent provocateur », vœu inconscient et reste diurne) (l'Interprétation des rêves, 1900). La découverte de la sexualité infantile permet de relier les stades de la libido et les destins des pulsions au développement ultérieur, montrant une détermination de l'adulte par l'enfant jusqu'alors inaperçue (Trois Essais sur la théorie sexuelle, 1905). Les facteurs biologiques – période de latence, anatomie – et phylogénétiques – archifantasmes héréditaires, etc. – complètent cette causalité ontogénétique.

Lacan, recherchant le conditionnement de la folie « dans son essence » par les lois du signifiant, n'échappe pas à toute idéalisation scientiste(2).

Au croisement de plusieurs perspectives, le déterminisme psychique s'écarte de la conception mécaniste : Freud refuse prédictivité à long terme et causalité simple ; la question du choix de la névrose (Neurosenwahl), qui suppose une motivation inconsciente dans l'entrée dans la maladie, reste ainsi problématique (la Disposition à la névrose obsessionnelle, 1913).

Benoît Auclerc

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Zur Psychopathologie des Alltagslebens (1901), G.W. IV, « Psychopathologie de la vie quotidienne », chap. 12, Gallimard, Paris, p. 405.
  • 2 ↑ Lacan, J., « Propos sur la causalité psychique », in Écrits (1966), Seuil, Paris, p. 153.

→ acte manqué, censure, destin, enfantin / infantile, idée incidente, rêve, symptôme




déterminisme génétique

Biologie

Pouvoir des gènes, tant sur les caractéristiques des organismes vivants que sur les propriétés de leurs descendants. C'est dans le cas de l'homme que cette expression trouve toute sa force.

La notion de déterminisme génétique est liée au développement de la génétique à partir de la redécouverte des lois de Mendel, au début du xxe s., mais, plus encore, à la mise en place d'une vision matérialiste et corpusculaire de l'hérédité, qui l'a précédée à la fin du xixe s.

Les développements de la biologie au xxe s. n'ont, d'abord, fait que conforter cette place centrale et déterminante des gènes. Pourtant, depuis quelques années, le déterminisme génétique, très lié à la vision réductionniste du vivant, qui était celle de la biologie moléculaire, s'effrite. Les biologistes ont réalisé que les propriétés des organismes vivants émergent du fonctionnement global des gènes, et non de l'action déterminante de tel ou tel gène, et que l'environnement limite et modèle le pouvoir des gènes.

Michel Morange

Notes bibliographiques

  • Jacob, F., Le jeu des possibles, Fayard, Paris, 1981.
  • Morange, M., « Gène function », in Sciences de la vie no 323, pp. 1147-1153, C. R., Acad. Sc., Paris, 2000.
  • Morange, M., La part des gènes, Odile Jacob, Paris, 1998.