censure

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin censura (« office du censeur », « censure »), de census (« cens », « recensement »). En allemand : Zensur.


Liée, sous la république romaine, à l'institution du cens, la censure s'appliqua au contrôle des mœurs, avant de s'étendre, sous l'influence de l'Église, à celui des écrits et des opinions. Si le mot n'a rien retenu, aujourd'hui, de sa signification d'origine, il n'en va pas de même jusqu'au xviiie s, où il reste lié, chez certains auteurs, au vocabulaire républicain.

Philosophie du Droit, Politique, Sociologie

Acte de soumettre un écrit ou un spectacle à un examen préalable, en vue de son autorisation ; condamnation qui les frappe en totalité ou en partie.

La censure nous apparaît avant tout comme une limitation ou une négation de la liberté d'expression, pour des raisons morales, politiques ou religieuses. Dans la pensée politique classique, en revanche, chargée de veiller au maintien des mœurs, elle apparut longtemps comme la condition d'une république vertueuse.

Le mot, dans son sens moderne, est d'usage courant au xviiie s. Le sens ancien n'est cependant pas oublié : « Ce nom est emprunté des censeurs de l'ancienne Rome, dont une des fonctions était de réformer la police et les mœurs »(1). Au-delà de l'identité du nom, toutefois, la censure romaine et la censure moderne recouvrent des réalités très différentes. La censure des livres ou des opinions a, certes, pour fin de préserver les mœurs, mais selon une procédure, des critères et des modalités qui n'ont rien à voir avec la censure romaine.

Les censeurs, à Rome, remplissaient une double fonction : dénombrer le peuple et, par une extension progressive de leur compétence, contrôler les mœurs. La fonction de dénombrement correspondait au « cens » (census), institué au vie s. av. J.-C. afin de classer les citoyens en catégories par la définition de leurs obligations militaires, fiscales et politiques. Cette opération impliquait la prise en compte de leur mérite, ou « vertu ». La juridiction censoriale s'appliquait à un autre niveau que la loi ; bien plus, elle tirait sa justification de la nécessité de sanctionner, par le blâme ou par l'amende, les fautes échappant, par nature et non par accident, à la répression légale. Elle constituait donc l'un des fondements de la vie civique. Bodin, après Machiavel(2), le souligne encore au xvie s. : « Le rôle des censeurs est si important, si capital dans une république que l'étonnante prospérité de Rome paraît principalement due à leur institution.(3) ».

Rousseau fut l'un des derniers à défendre le principe d'une telle censure. « Utile pour conserver les mœurs, mais jamais pour les rétablir »(4), toutefois, elle ne convenait plus à l'époque moderne, caractérisée, selon lui, par la perte du sens civique. Quelques décennies plus tard, Constant lui donnait définitivement congé, affirmant, contre les imitateurs de l'Antiquité, que « ce n'était pas la censure qui avait créé les bonnes mœurs [à Rome], [mais] la simplicité des mœurs qui constituait la puissance et l'efficacité de la censure »(5). À l'âge de la liberté individuelle, c'est à l'opinion publique qu'il revenait de régler les mœurs.

La censure apparaît ainsi comme un élément essentiel du débat, ouvert au xixe s., entre la liberté des anciens et celle des modernes. Elle témoigne, dans la tradition républicaine classique, du souci de mettre la vertu au cœur du système politique, soumettant ainsi les hommes, dans leur conduite publique et privée, au regard permanent de la société. Incompatible avec l'exigence moderne d'autonomie individuelle, elle n'apparaît plus, désormais, que comme une entrave à la libre expression des idées et des sentiments. Son effacement, toutefois, laisse ouverte la question de la morale civique propre aux sociétés démocratiques.

Michel Senellart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Encyclopédie (1777), t. 6, art. « Censeur », p. 644.
  • 2 ↑ Machiavel, N., Discours sur la première décade de Tite-Live (v. 1520), I, 49, Laffont, Paris, 1996, p. 271.
  • 3 ↑ Bodin, J., la Méthode de l'histoire (1566), VI, PUF, Paris, 1951, p. 417.
  • 4 ↑ Kousseau, J.-J., Du contrat social (1762), IV, 7, in Œuvres complètes, t. 3, Gallimard, Paris, 1964, p. 458.
  • 5 ↑ Constant, B., De l'esprit de conquête et d'usurpation (1814), Garnier-Flammarion, Paris, 1986, p. 283.
  • Voir aussi : Nicolet, Cl., le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, ch. II, « Census. Le citoyen intégré », Gallimard, « Tel », Paris, 1988, pp. 71-121.
  • Senellart, M., « Censure et estime publique », in Cahiers philosophiques de Strasbourg, printemps 2003, t. 13, pp. 67-105.

→ liberté, république, vertu

Psychanalyse

Fonction de répression qui interdit l'accès des contenus inconscients à la conscience.

Le rêve est un lieu privilégié de l'analyse de la censure, qui officie comme un « gardien »(1) et s'exerce à deux niveaux. « L'inconscient, à la frontière du [préconscient], est renvoyé par la censure », mais ses rejetons « peuvent tourner cette censure, [...] accroître leur investissement dans le [préconscient] jusqu'à une certaine intensité puis, [...] lorsqu'ils [...] veulent s'imposer à la conscience [...], [ils] se voient refoulés de nouveau à une nouvelle frontière – la censure entre [préconscient] et [conscient] »(2).

De même que la censure politique rend certains articles incompréhensibles, en les « caviardant »(3), la censure psychique caviarde les rêves. Mais le travail du rêve, qui « déforme » (Enstellung) les pensées latentes du rêve selon la logique du processus primaire, sert aussi la censure.

En seconde topique, la censure est rattachée en partie au moi, comme mécanisme – inconscient – de défense, en partie au sur-moi, instance à laquelle est dévolue, avec l'idéal du moi, la « censure morale »(4).

La psychanalyse a découvert les pulsions sexuelles et leurs avatars dans la vie psychique, ainsi que les répressions intrapsychiques qui leur sont opposées. Si les premières manifestent la puissance vitale d'Éros, les secondes dépendent des pulsions de mort, et leur dangerosité ne peut être surestimée.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Die Traumdeutung (1899), G. W. II-III, l'Interprétation des rêves, PUF, Paris, 1999, p. 483.
  • 2 ↑ Freud, S., Das Unbewusste (1915), G. W. X, Métapsychologie, in l'Inconscient, Gallimard, Paris, 1971, p. 105.
  • 3 ↑ Freud, S., l'Interprétation des rêves, op. cit., p. 130.
  • 4 ↑ Freud, S., Das Ich und das Es (1923), G. W. XIII, le Moi et le ça, in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2001, p. 250.

→ condensation, défense, déplacement, moi, processus, rêve, surmoi, topique, travail