idée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec idea, « aspect extérieur », « forme », ou d'eidos, « forme », en rapport avec le verbe idein, « voir ». L'étymologie grecque nous renvoie à la vision distinctive et à la compréhension, mais c'est au latin notio que l'on fait remonter l'idée ou notion des classiques.


Notion centrale dans la théorie idéaliste de la connaissance et de l'action, de Platon à Kant. Elle trouve son affirmation la plus complète dans l'idéalisme absolu de Hegel. L'idée est aussi une notion fondamentale du rationalisme classique (Spinoza) et de la philosophie transcendantale (Kant, Husserl). Dans la philosophie classique, l'idée est chose de l'esprit en tant qu'il conçoit et non en tant qu'il sent. Dans la définition classique, l'idée peut aussi englober toute espèce de représentation, comme chez les sensualistes (de Locke à Hume) ou se restreindre à un type de représentation, celle qui signifie un acte de l'esprit qui le met au plus près de l'essence des choses (synonyme de concept).

Philosophie Antique

Pour les philosophes d'inspiration platonicienne, forme intelligible et par là soustraite au devenir, séparée des réalités sensibles dont elle est le modèle. Pour les aristotéliciens, forme d'un être, distincte de sa matière sans en être séparée, et objet de sa définition, d'où : espèce.

Étymologiquement, le mot grec idea est un doublet d'eidos. Platon et Aristote emploient indifféremment les deux termes, avec le même éventail de significations. Cependant, c'est idea qui a été privilégié pour désigner la doctrine platonicienne des formes intelligibles, à l'imitation desquelles, ou par participation auxquelles, existent les réalités sensibles. Jusqu'à la fin du Moyen-Âge, le latin idea puis le français « idée » conserveront cette référence originelle à la forme d'un objet, intelligible ou sensible, qui permet de l'identifier dans sa singularité ou de le rapprocher de ce qui lui est semblable, jusqu'à constituer une espèce. « Idée » au sens d'objet mental, de représentation de l'esprit, est une notion exclusivement moderne.

Michel Narcy

Philosophie Médiévale

Les théologies des religions du Livre ont retenu du platonisme, entre autres éléments, la fonction archétypale des idées, jointe au schème de la création par un Dieu-artisan. S'il existe un ordre dans le monde, qui ne résulte ni du hasard ni d'une causalité naturelle, c'est que les choses sont faites d'après des modèles intelligibles par une cause intelligente agissant intentionnellement(1). Les idées sont donc, comme chez Platon, les formes des choses, principes de leur production et de leur connaissance. Mais elles se voient désormais assigner un « lieu » définitif : l'intellect divin. Si Philon d'Alexandrie (à la suite peut-être d'Antiochus d'Ascalon) avait déjà posé leur existence dans le Logos divin, le texte normatif pour le Moyen-Âge latin sera le De diversis quaestionibus 83, q. 46, de S. Augustin. Les idées sont les pensées de Dieu, déployées dans son Verbe, et ce fondement garantit leur statut ontologique d'éternité et d'immutabilité. Elles ne sont par là ni supérieures ni inférieures à Dieu (ce dernier point sera régulièrement rappelé contre Jean Scot Erigène, qui les avait placées au niveau de la « nature créée et créante »). En poursuivant l'inspiration platonicienne dans une voie réaliste, les idées divines pourront être considérées comme étant les universaux, existant ainsi substantiellement (Wyclif). Par ailleurs, elles trouveront un emploi dans toutes les théories de la connaissance qui supposent une illumination divine éclairant les esprits créés.

Mais comment une diversité de pensées peut-elle se trouver au sein de l'unité absolue de l'essence divine ? Pour l'éviter, Plotin avait relégué la multiplicité des formes dans la seconde hypostase. Cependant, le pseudo-Denys l'Aréopagite trouvera une solution chez Proclus : la Cause première contient d'avance en elle toutes les « raisons productrices » des êtres, mais sur un mode d'union synthétique et suressentiel(2). En partant de prémisses aristotéliciennes, on rencontre une difficulté et une échappatoire analogues. Si Dieu pense, il ne pense que lui-même. En effet, si sa connaissance avait pour terme autre chose que sa propre essence, qui est la perfection suprême, elle ne serait pas la plus parfaite possible. De plus, il y aurait en lui plusieurs intellections différentes, ce qui signifierait que son essence est divisée ou bien que certaines de ces intellections ne sont pas son essence. Donc l'intellection de Dieu est unique et ne peut avoir que lui-même pour objet. Est-ce à dire qu'il ne connaît rien d'autre que lui ? Thémistius avait proposé une réponse, que reprendra le Moyen-Âge : en se pensant, Dieu pense le monde. En effet, dira Thomas d'Aquin, en toute cause préexiste l'effet, ou sa similitude, sur le mode d'existence de la cause. Or Dieu est cause première universelle, et sa nature est intellectuelle : tous ses effets s'y trouvent donc pré-contenus sur un mode intelligible. Donc Dieu, en se connaissant, connaît en lui-même, comme idées, les autres êtres qui proviennent tous de lui. Plus précisément, en intuitionnant sa propre essence, Dieu la connaît non seulement telle qu'elle est en soi, mais aussi en tant qu'elle est imitable d'une infinité de manières. Par là il connaît les essences de tous les êtres, créés et possibles, car elles se définissent, selon des relations de raison, comme des participations ou limitations de sa perfection.

On le voit, cette théorie repose sur les notions de relation et de similitude. Quant à la première, il faut admettre que la relation de raison soit capable de délimiter l'essence divine sans en compromettre l'unité et l'infinité. Quant à la seconde, elle est impliquée dans une thèse métaphysique (la cause contient la similitude de l'effet) et une thèse noétique (la connaissance s'explique par la présence, dans l'intellect connaissant, de la ressemblance de l'objet connu : l'espèce intelligible chez l'homme, l'idée chez Dieu). Ces deux points seront attaqués dès le xive s. Ockham supprimera l'idée comme intermédiaire dans la connaissance. Elle n'est qu'un nom connotatif, qui ne désigne pas autre chose que la créature en tant qu'elle est connue, par Dieu, dans son intelligibilité éternelle (esse obiective). Mais auparavant, Duns Scot aura inversé le rapport platonicien entre l'intelligible et l'intellect(3). À ses yeux, les relations d'imitabilité sont des « raisons de connaissance » (rationes cognoscendi) des idées qui rendent l'intellect infini passif à l'égard du fini. Au contraire, l'intellect divin ne se borne pas à constater une ressemblance, il produit l'intelligible (cf. l'entendement intuitif chez Kant), et se l'oppose en tant qu'« être connu » dans un rapport direct de vis-à-vis. Comme l'intellect humain, il conçoit les essences comme objets absolus, c'est-à-dire sans la médiation d'une comparaison, antérieurement à toute relation. Ceci explique peut-être pourquoi, alors que pour le Moyen-Âge les idées restent divines, Descartes les fera descendre dans l'entendement humain(4). Il sait fort bien que ce nom est traditionnellement réservé aux « formes des conceptions de l'entendement divin », mais assure (bien que le lexique scolastique ne manque pas d'autres termes, et que lui-même utilise par exemple notio ou concept(5)) n'en pas connaître de plus « apte » à désigner « ce qui est conçu immédiatement par l'esprit ».

Jean-Luc Solère

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Voir par exemple Thomas d'Aquin, Summa theologiae, Ia p. q.15, a. 1 et 2.
  • 2 ↑ [Denys l'Aréopagite], Des noms divins, V, 8.
  • 3 ↑ Voir O. Boulnois, Être et représentation, Paris, 1999, chap. VIII.
  • 4 ↑ Descartes, R., Réponses aux Troisièmes objections, no IV (Ch. Adam & P. Tannery, Œuvres de Descartes, réimpr. Paris, 1996, t. VII, p. 181.
  • 5 ↑ Id., op. cit., t. VII, p. 39, l. 23, et p. 178, l. 20.
  • Voir aussi : Fattori, M. & Bianchi, M.L.(edd.), Idea. VI. Colloquio internazionale del lessico intellettuale europeo, Roma, 1989.
  • Fronterotta, F., « Methexis ». La Teoria platonica delle idee e la partecipazione delle cose empiriche. Dai dialoghi giovanili al Parmenide. Pisa, 2001.
  • Hoenen, M., « Propter Dicta Augustini. Die Metaphysische Bedeutung der Mittelalterlichen Ideenlehre », Recherches de théologie et de philosophie médiévale, no 64/2, 1997, pp. 245-262.
  • Boland, V., Ideas in God according to Saint Thomas Aquinas. Sources and Synthesis, Leiden, 1996.
  • Maurer, A., « The Role of Divine Ideas in the Theology of William of Ockham », in Id., Being and Knowing. Studies in Thomas Aquinas and Later Medieval Philosophers, Toronto, 1990.

→ eidos

Philosophie Moderne

Aspect, forme ou structure qui rend visible, qui fait voir la réalité d'une chose ou ce qu'elle est en elle-même.

Dans son usage platonicien, le mot « idée » renvoie à l'eidos ou à l'idea, qui sont deux manières dont l'ousia se montre, et signifie l'aspect, non au sens moderne du perceptible ou du visible, mais au sens de l'intelligible. C'est à ce titre que l'idée est un réel et ce qu'il y a de plus réel dans ce que nous percevons clairement. Chez Platon, l'idée est aussi forme, au sens causal de la forme, elle est cause du nom et de ce qui confère son sens à la chose ; cause non d'une existence (physique), mais d'une présence. L'idée n'est pas une chose extérieure à l'intelligence, c'est par elle ou en elle que la chose extérieure participe au sens – ainsi, le monde intelligible n'est pas un monde mais le domaine intelligible.

Aristote, qui n'a vu dans cette théorie de la participation qu'une « métaphore poétique »(1), a cependant conservé à la notion de forme la valeur de cause que Platon reconnaît à l'idée. S'interrogeant sur le statut ontologique de l'idée platonicienne, il commence par en refuser le caractère séparé (chorismos). Il se demande s'il peut exister des formes sans matière et, si oui, si ce sont des substances. « Les réalités transcendantes dont nous croyons qu'elles existent séparées des phénomènes sensibles, comme les idées et les objets de la pensée mathématique, existent-elles vraiment ?(2) » Il ouvre, par sa critique de la théorie platonicienne des idées, la voie à tous ceux qui vont restreindre l'idée, ou forme intelligible, de la chose à l'acte de l'intelligence formatrice. Cependant, il n'entend pas par là que c'est l'esprit qui crée cette forme, puisque, pour lui comme pour les platoniciens, l'objet précède toujours la pensée de l'objet et devient pensée de soi dans la pensée. C'est en ce sens qu'il faut entendre la formule selon laquelle « le savoir est identique à l'objet de pensée »(3). Aristote admet l'identité de la forme immatérielle pensante et de la forme immatérielle pensée, mais non une production par la pensée des formes intelligibles, ou idées.

Le problème du rapport de l'idée à la réalité, engagé à partir de celui de la réalité de l'idée, va aboutir chez les successeurs d'Aristote à la question du rapport des idées à l'être pensant.

La pensée antique refuse de réduire les idées à des modes de la pensée, et c'est précisément ce qui va constituer la thèse des modernes selon laquelle l'idée est quelque chose d'idéel, et non une réalité en soi. Il faudra attendre Hegel pour que le mot « idée », distingué du « concept », retrouve une dimension ontologique qui fait dire : « Tout ce qui est réel ne l'est que pour autant qu'il contient et exprime l'idée.(4) »

L'Idée dans la théorie moderne de la connaissance, ou du rapport des idées aux choses

Cette approche va, avec Descartes, donner priorité au sujet pensant. Ce qui était, chez Platon ou Plotin, intériorité de l'idée à l'intellect (homogénéité ontologique de l'intellect et de son objet intérieur) devient, chez Descartes, subjectivité de l'idée ou appartenance au moi pensant dont elle constitue la forme supérieure d'existence et ce qui lui permet de s'affirmer avec certitude comme existant.

Descartes place dans le sujet qui juge le fondement de la réalité de l'objet et de toute existence en général ; il commence par assurer le « je suis » dans et par l'acte du « je pense ». Pour cela, il élimine d'abord les cogitata afin de saisir la forme pure et pensante qui va l'assurer de la réalité ou vérité de son existence propre ainsi que de la possibilité de la cogitata universa.

Descartes admet que toutes les idées ne sont pas formées par moi, mais il n'admet pas qu'elles puissent être quelque chose indépendamment de moi qui les pense et les aperçois ; elles ne sont idées qu'en étant pensées et conscientes : « Ce sont seulement certaines façons de penser entre lesquelles je ne connais aucune différence ou inégalité et qui toutes semblent procéder de moi d'une même sorte.(5) » Le tournant qu'opère Descartes consiste à poser que l'idée n'est ni une réalité en elle-même ni une simple disposition de l'esprit (affect) ; elle est, d'abord et indépendamment de son objet, présence de l'esprit à lui-même, et elle suppose pour être idée l'acte de la conscience. C'est à ce titre qu'elle est représentation. La première idée que je rencontre en cherchant à m'assurer d'un point fixe, dans la quête de la vérité, c'est l'idée que je suis, ou mon âme, nature simple, séparée, éternelle de la res cogitans à quoi se trouve éidétiquement réduit le moi pensant. Dans la « Troisième Méditation », l'amplitude de la pensée prend la forme objective différentielle d'une multitude de pensées ou de modes de pensées ; nous sommes alors dits connaissant et non seulement pensant. Les idées se répartissent alors à partir des facultés qui leur servent de référence. La volonté de garantir la certitude de la science coïncidant avec celle d'affirmer le plein exercice de son esprit conduit Descartes à distinguer, parmi les idées, celles qui lui font le mieux connaître et son esprit et le monde : « En nous, l'entendement seul est capable de percevoir la vérité.(6) » Ainsi, en explorant la nature de notre intelligence pour y découvrir des pensées possédant une valeur objective, Descartes pose un ordre qui distribue ses pensées en certains genres et en définit la nature ; il distingue alors celles qui seront dites représentatives et qui sont nommées « idées » au sens le plus large, et celles qui sont des pensées, mais non des idées.

Le premier groupe est celui des pensées qui sont « comme des images des choses »(7). Dans le Traité des passions, Descartes les nomme des « perceptions » et, dans les Méditations, les définit comme « tout ce qui est perçu immédiatement par l'esprit » ; l'idée est alors « la chose même, conçue ou pensée », c'est sur ce premier groupe que porte l'enquête des Méditations métaphysiques.

Le deuxième groupe de pensées comprend des formes relevant de la faculté de vouloir et de sentir ; ce ne sont pas des représentations, et elles n'ont pas de valeur cognitive, mais elles sont formellement des pensées. L'idée n'est donc pas seulement une réalité sur le plan formel ; l'idée, c'est ce que l'esprit pense : elle est dans l'âme, et non seulement de l'âme comme le sont la volition et l'affect. Elle a valeur objective. Les volitions et les affects sont respectivement des états actifs ou passifs de l'âme qui témoignent de la présence du moi pensant, mais non de ce qu'il pense. Priorité est donc accordée aux idées, puisque les autres pensées les supposent : on ne peut désirer ou aimer quelque chose sans en avoir une idée, ou représentation.

Il faut, en outre, distinguer, au sein des idées elles-mêmes, celles qui tiennent leur réalité de ma propre nature et celles qui semblent venir du dehors ; ce qui nous donne trois sortes d'idées (ou deux, selon l'interprétation qu'on donnera des secondes) :
– les idées qui appartiennent à notre être pensant (les idées innées) : l'idée de vérité, par exemple, ou l'idée de chose ;
– les idées qui sont faites par notre esprit (fictions, inventions de mon esprit) ;
– les idées, enfin, qui semblent s'imposer à moi et non venir de moi (par leur contenu) et qui sont donc comme causées par autre chose (comme lorsqu'on pense un homme, un cheval, un ciel, une chimère ou un ange). Les idées adventices ont néanmoins un statut ambigu : elles ne sont étrangères que par leur contenu, formellement elles sont de ma pensée ; et les fictives, qui semblent venir entièrement de moi, ont un contenu qui n'appartient pas à ma nature.

Il faut donc refuser l'affirmation erronée de la conformité de l'idée et de la chose que l'expression « image » ou « représentation des choses » semble suggérer ; la représentativité de l'idée ne signifie pas que les objets du dehors en sont cause, et que « représentation » signifie « ressemblance à la chose représentée ». Une idée innée, tout en ne provenant que de ma nature propre, peut posséder une valeur objective plus grande que l'idée adventice (l'idée du Soleil astronomique est plus représentative de la chose elle-même que l'idée sensible du soleil).

Nous touchons ici à ce qui, chez Spinoza, constituera la division des idées en adéquates et inadéquates.

L'approche spinoziste

L'idée est-elle essentiellement une représentation ? La question se pose sitôt qu'on aborde la nature de l'idée chez Spinoza. Ce dernier, tout en ayant à l'esprit les distinctions cartésiennes (les trois sortes d'idées), les estime insuffisantes. Comme Descartes, Spinoza n'appelle « idées » que celles qui sont porteuses de connaissances, et non les affects ; mais, dès la définition III qu'il propose dans la deuxième partie de l'Éthique, il cherche à lever toute ambiguïté, et distingue l'idée de la perception : « J'entends par idée un concept de l'âme, que l'âme forme pour ce qu'elle est une chose pensante. » L'explication qui suit la définition précise les raisons de la distinction qui écarte la perception au profit du concept : « Je dis concept de préférence à perception parce que le mot de perception semble indiquer que l'âme est passive à l'égard d'un objet tandis que le concept semble exprimer une action de l'âme. » Le partage se fait donc à partir de l'activité de l'âme (dans le Traité de la réforme de l'entendement, cette activité se marque dans le troisième et le quatrième mode de représentation : inférer, déduire, connaître par l'essence)(8). L'action de l'âme est elle-même une expression de l'activité ou de la puissance de Dieu, considéré sous l'attribut de la pensée, et la représente à notre niveau. On comprend, dès lors, que la définition de l'idée adéquate (définition IV) se contente de nous renvoyer à son identité avec l'idée vraie (l'idée telle qu'elle est dans l'entendement de Dieu). C'est que la vérité reconnue à l'idée vraie ne résulte pas d'une convenance entre elle et son objet (sens usuel de l'adéquation de l'idée). Pour Spinoza, la vérité n'est pas une qualité extrinsèque, accidentelle et passagère de l'idée, mais une propriété constitutive, si bien qu'on est conduit à se demander si, pour lui, il n'y a de véritable idée que l'idée adéquate ou vraie.

Une chose est sûre : l'âme n'est pas au spectacle de ses idées, et l'idée ne se forme pas à partir de l'objet, mais à partir de l'âme et en elle, par une relation intrinsèque de son être formel à sa cause, à Dieu comme Être pensant. L'intériorité de l'idée dans l'âme n'est donc pas l'expression d'une subjectivité pensante (moi pensant), mais l'expression ou l'affirmation modale et singulière de l'attribut Pensée. C'est pourquoi la définition de l'idée adéquate n'exclut pas tant ce qui est habituellement signifié par le mot « adéquation » qu'elle n'affirme les propriétés intrinsèques de l'idée et de l'idée adéquate ou vraie. L'idée adéquate n'est rien d'autre que l'idée pleine ou complète, non mutilée. Le caractère extrinsèque de l'adéquation (représentation exacte de l'objet) est déduit de la relation intrinsèque de l'être formel de l'idée à sa cause ou à Dieu considéré sous l'attribut Pensée.

L'approche kantienne se présente comme un certain retour à Platon, pour ce qui est de la force causale des idées dans le domaine pratique (l'action morale ou historique de l'individu ou de l'humanité), position qu'on peut résumer par cet éloge ambigu que Kant fait de l'usage du mot « idée » chez Platon : « Platon se servit du mot idée de telle sorte qu'on voit bien qu'il entendait par là quelque chose qui ne dérive jamais des sens, mais qui même dépasse de beaucoup les concepts de l'entendement, dont s'est occupé Aristote [...]. Les idées sont pour lui des archétypes des choses elles-mêmes et non simplement des clés pour les expériences possibles, comme les catégories. [...] Platon trouvait surtout des idées dans tout ce qui est pratique, c'est-à-dire dans ce qui repose sur la liberté. [...] Mais ce n'est pas seulement dans les choses où la raison humaine montre une vraie causalité et où les idées deviennent des causes efficientes (des actions et de leurs objets), je veux dire dans le domaine moral, c'est aussi dans la nature même que Platon voit avec raison des preuves... que les choses tirent leur origine des idées. [...] À part ce qu'il y a d'exagéré dans l'expression, l'acte par lequel ce philosophe s'est élevé de la contemplation textuelle de l'ordre physique du monde à la liaison architectonique de cet ordre du monde selon des fins, c'est-à-dire des idées, cet acte est un effort qui mérite le respect et qui est digne d'être imité.(9) » Ainsi, c'est encore dans la philosophie transcendantale de la connaissance que Kant marque son originalité par rapport aux classiques en distinguant le concept comme produit de l'entendement, œuvrant dans la représentation objective des phénomènes, de l'idée ou concept rationnel, c'est-à-dire des principes régulateurs qui systématisent les synthèses de l'entendement. Avec ses idées, la raison oriente l'entendement et réfléchit sur elle-même, elle érige la connaissance en un système organique. L'expression « concept rationnel » montre, selon Kant, que « ce concept ne se laisse pas enfermer dans les limites de l'expérience », les concepts rationnels, ou idées, servent à comprendre (ce qui exige d'aller jusqu'à la raison dernière et inconditionnée), alors que les concepts intellectuels servent seulement à entendre ou à percevoir. Ainsi, le rôle de la raison avec ses idées consiste à affranchir de leur limitation les concepts de l'entendement (limitation liée à l'expérience possible). « Les concepts rationnels, dit Kant, renferment l'inconditionné », c'est-à-dire qu'ils se rapportent à quelque chose où rentre toute l'expérience, mais qui n'est jamais en lui-même objet d'expérience(10). Il ressort de là que l'idée se caractérise doublement : par son caractère transcendant, d'une part (elle n'est pas prisonnière de l'expérience), et, d'autre part, par son caractère transcendantal (exprimant le besoin d'unité de la raison). Dans la section II du même livre, Kant définit les idées telles qu'il les entend, comme formes propres de la raison, et comme « concepts purs ou idées transcendantales qui déterminent suivant des principes l'usage de l'entendement dans l'ensemble de l'expérience toute entière »(11). Il faut donc distinguer, chez Kant, l'idée pratique, dont on ne peut jamais dire que « ce n'est qu'une simple idée » et qui a le statut d'une cause efficiente ; et l'idée transcendantale, d'usage théorique, qui détermine l'usage de l'entendement dans l'ensemble de l'expérience possible. Ces idées n'ont jamais d'usage constitutif, mais elles ont un usage régulateur et indispensablement nécessaire : « Celui de diriger l'entendement vers un certain but. »

Suzanne Simha

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, A, chap. IX, 991 a, tr. J. Tricot, Paris, Vrin, 1986, vol. I, p. 88.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, B, chap. I, op. cit., p. 119 sq.
  • 3 ↑ Aristote, De l'âme, III, 4, 492 a-b, tr. R. Bodéüs, Paris, GF, 1993, p. 222-223.
  • 4 ↑ Hegel, G. W. Fr., Science de la logique, II, 463.
  • 5 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, III, édition Adam & Tannery, Paris, Vrin-CNRS, vol. IX, p. 29-30.
  • 6 ↑ Descartes, R., les Règles pour la direction de l'esprit, XII, édition F. Alquié, Paris, Bordas, 1988, vol. I, p. 135.
  • 7 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, loc. cit.
  • 8 ↑ Spinoza, B., Traité de la réforme de l'entendement, § 26, tr. B. Rousset, Paris, Vrin, 1992.
  • 9 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale », livre I, section I, tr. Treymesaygue et Pacaud, Paris, PUF, 1950, p. 262-263.
  • 10 ↑ Ibid., p. 261.
  • 11 ↑ Ibid., p. 267.
  • Voir aussi : Aristote, Métaphysique, A 9 ; B 1, 2 ; M 4, M 1 ; Z 2, tr. J. Tricot, Paris, Vrin, 1986, vol. I, p. 88.
  • Descartes, R., Méditations métaphysiques III ; V ; Raisons (définitions 1, 2, 3), édition Adam & Tannery, Paris, Vrin-CNRS, 1996, vol. IX.
  • Diès, A., Définition de l'Être et nature des idées dans le sophiste de Platon, Paris, Vrin, 1932.
  • Jaeger, W., Aristote, fondements pour une histoire de son évolution, Paris, L'Éclat, 1997.
  • Kant, E., Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale », livre I, sections I, II, tr. Tremesaygue et Pacaud, Paris, PUF, 1950.
  • Lachièze-Rey, P., l'Idéalisme kantien (1932), Paris, Vrin, 1950.
  • Leibniz, Qu'est-ce que l'idée ? (1677), tr. Ch. Frémont, in Discours de métaphysique et autres textes, Paris, GF, 2001, p. 113-115.
  • Moreau, J., Construction de l'idéalisme platonicien (1939), G. Olms Verlag, Hildesheim, 1986.
  • Platon, Phédon 97 a-99 d, tr. P. Vicaire, Paris, Belles Lettres, 1995 ; République, V, 475 c-480 a, tr. E. Chambry (1933), Paris, Belles Lettres, 1996 ; Sophiste, 251 a-256 d, tr. A. Diès (1925), Paris, Belles Lettres, 1994.
  • Spinoza, B., Éthique, II, définitions 3, 4 ; propositions 4 à 13, tr. Ch. Appuhn, Paris, GF, 1965, p. 69-84.

→ catégorie, concept, entendement, esprit, forme, idéalisme, pensée, platonisme, représentation




idée fixe

Psychologie

Au sens banal, c'est l'équivalent d'obsession. Formellement, le terme souligne la conscience souvent lucide qu'un sujet a d'une représentation (morbide) dont il est impuissant à empêcher la transformation en action.

Chez Janet, l'idée fixe témoigne, au sein même de la conscience, de la division du moi entre sa partie subconsciente automatique et sa partie consciente volontaire. Elle résulte de l'aboulie (la volonté échoue à contrôler le mouvement qui va de la représentation à l'action). Si elle correspond à divers phénomènes que fournit la clinique des obsédés, elle tend toutefois, dans sa version systématique et prétendument explicative, à résoudre verbalement une antinomie cruciale en psychopathologie : celle de la teneur intentionnelle des contenus mentaux introspectifs allégués comme autant de raisons (voire de motifs moraux) par le sujet, qui décrit l'idée fixe qui l'obsède, et des mouvements réels, régis par une causalité indifférente à ces raisons, et qui constituent l'action qui lui échappe. Ce caractère purement verbal justifie que la notion, qui n'est en somme qu'un hybride conceptuel, ait été abandonnée.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Janet, P., Névroses et idées fixes, Paris, 1895.

→ automatisme psychologique, obsession




idée incidente


En allemand, Einfall, du verbe einfallen « venir à l'esprit ». Dans d'autres contextes, « faire irruption, envahir ». Formé sur ein-, « idée de pénétrer », et fallen, « tomber ».

Psychanalyse

Pensées subites qui viennent à l'esprit sans qu'on y pense.

Les idées incidentes sont au cœur de la première technique utilisée par Freud en psychothérapie. Se présentant sous forme de pensées, d'images, de mots, de nombres ou de mélodies, elles sont le point de départ de chaînes associatives qui donnent accès aux diverses formations psychiques inconscientes(1). Sous l'apparence du hasard, leurs connexions démontrent le déterminisme psychique. À partir de cette expérience, Freud développe la méthode des « associations libres », règle de la cure. Dans les rapports entre analyste et analysant, elle met en évidence les résistances qui se manifestent par les réserves à rendre compte des idées incidentes, ou par leur absence(2).

Excédant le contrôle des processus de penser par la rationalité consciente, l'idée incidente ouvre à d'autres espaces de penser. Elle questionne la pertinence de la rationalité lors des processus psychiques de création intellectuelle ou artistique, sans donner dans l'indéterminisme de l'inspiration ou de l'illumination.

Jean-Marie Duchemin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Études sur l'hystérie (1895), PUF, Paris, 1956, p. 216.
  • 2 ↑ Freud, S., Psychanalyse et Théorie de la libido (1923), OCP, t. XVI, pp. 186-187.

→ association, déterminisme, refoulement, rêve