Alors que le programme dit d'« Initiative de défense stratégique » (IDS) avait fait l'objet d'une impressionnante couverture médiatique dans la seconde moitié des années 80, l'effondrement du bloc communiste au tout début de la décennie suivante semblait avoir mis fin aux recherches en la matière. Mais, si les scénarios aux accents de science-fiction ont peu à peu déserté la presse, les recherches menées dans le cadre du SDIO, l'organisme chargé de coordonner les travaux sur la défense antimissile, ont permis d'enregistrer de très impressionnants résultats en matière de laser, de miroirs – destinés à être positionnés à l'origine dans l'espace – et d'informatique.

De l'IDS au NMD

La nouvelle donne géostratégique induite par l'apparition de nouvelles puissances susceptibles de maîtriser le nucléaire militaire et les techniques spatiales n'a donc pas pris de court les laboratoires américains. La Corée du Nord, l'Iran, le Pakistan, l'Inde et la Libye peuvent en effet aligner des missiles dotés d'une tête nucléaire, dont la portée oscille aujourd'hui entre 1 500 et 3 500 km, mais dont les performances seront très certainement améliorées à court terme. Sur la base de ce constat, les États-Unis envisagent de mettre en place un système de défense contre une éventuelle agression nucléaire dont le missile balistique serait le vecteur. Si la nouvelle architecture imaginée outre-Atlantique rompt avec le bouclier antimissile déployé dans l'espace (projet IDS), elle en garde toutefois la « philosophie » générale, puisqu'il s'agit toujours d'intercepter la fusée adverse avant qu'elle ne touche le territoire national. À cet égard, les États-Unis ont effectué en octobre un tir réussi contre un missile simulant une attaque adverse. D'ailleurs, le Pentagone a décidé de consacrer quelque 9,9 milliards d'euros entre 1999 et 2005 pour mener à bien ce nouveau programme baptisé « National Missile Defense » (NMD).

Une entorse au traité ABM

Le NMD, dont rien ne permet aujourd'hui d'affirmer qu'il sera opérationnel, a d'ores et déjà suscité des critiques de la part de Moscou, qui estime qu'il contrevient au traité américano-russe de limitation des systèmes antimissiles (ABM, 1972). De plus, le NMD ne semble pas de nature à plaire aux alliés des États-Unis, qui redoutent de subir une déstabilisation stratégique dans la mesure où une révision du traité ABM risque, d'une part, de provoquer une tension accrue avec les dirigeants russes, et, d'autre part, de renforcer le camp isolationniste outre-Atlantique. Mais, quel que soit l'avenir du projet NMD, il met déjà en œuvre des technologies de pointe qui auront de nombreuses retombées dans le domaine civil, concourant ainsi à accentuer davantage l'avance des États-Unis en la matière.

P. F.

Un tir réussi

Le 3 octobre, un missile « tueur », l'Exoatmospheric Kill Vehicle (EKV) tiré depuis l'atoll Kwajalein, dans les îles Marshall, a réussi à intercepter, à 6 800 km de là, un autre missile simulant une attaque nucléaire contre les États-Unis. Alors que le missile agresseur filait à 25 700 km/h, l'EKV, lancé moins de 20 min après, a percuté sa cible à 8 200 km/h et à 225 km en altitude au-dessus du Pacifique. L'EKV est équipé de son propre système de détection, de propulsion, de communication. Pour la première fois, deux missiles lancés dans l'espace à des milliers de kilomètres de distance l'un de l'autre se sont désintégrés par simple énergie cinétique.

Russie : des accents de guerre froide ?

L'idée de coopération entre Moscou et l'Occident, qui s'était imposée après 1989, ne semble plus avoir cours. Le refus de la domination américaine donne le ton de la politique étrangère, tandis que le maintien des républiques « turbulentes » dans le giron national accapare l'essentiel des énergies sur le front intérieur.

L'éclatement du bloc communiste a opéré un glissement de l'image de la Russie sur l'échiquier international – ses frontières ont été ramenées en deçà de ce qu'elles étaient avant 1917 –, mais aussi de l'image que Moscou se faisait de sa puissance – le Kremlin n'a jamais cessé de rêver qu'il exerçait une sorte de condominium avec la Maison-Blanche sur les affaires du monde. Cette profonde modification des perspectives apparaît particulièrement douloureuse, comme le résume un ancien diplomate soviétique pour qui la Russie « continue d'avoir mal aux membres amputés ». Bref, elle souffre d'avoir perdu la guerre froide.

Une puissance diminuée

Les vassaux de la Russie ne sont plus là pour appuyer sa politique internationale, toute dédiée au refus de la domination américaine. Pis, les républiques qui se sont séparées d'elle, dans le Caucase ou en Asie centrale, entendent exercer pleinement leur indépendance ; un dessein que les Américains, désireux d'étendre leur influence, ne font pas mystère d'encourager. La Russie y laisse aussi son glacis et sa puissance économico-militaire. Là également, au prisme de la guerre en Tchétchénie, les perspectives ne sont guère encourageantes. La violence avec laquelle la Fédération de Russie a lancé ses troupes à l'assaut de Grozny montre que le Kremlin ne laissera pas se réduire le territoire national sous l'effet d'un mouvement centripète accouchant d'une vague de nouvelles indépendances. En proie donc à de redoutables difficultés internes, la Russie n'a pas voulu troquer la perte de son empire contre un ticket pour la modernité, ce qu'avait su faire la Turquie au lendemain de la Première Guerre mondiale. À cet égard, la tendance au repli a pu prendre des formes multiples. Ainsi, les tentatives des Occidentaux pour associer la Russie, des Balkans au G8, sans oublier l'aide financière, sont aujourd'hui retenues contre eux. Selon Moscou, l'OTAN n'a pas joué cartes sur table dans les Balkans en cherchant la caution des Russes pour finalement ne pas tenir compte de leur avis. De plus, l'OTAN s'est étendue vers l'est sans que le système de sécurité auquel rêvaient les stratèges du Kremlin, et dans lequel ils auraient joué un rôle majeur, ne vît le jour. Face à cet Occident rendu responsable de tous ses maux, la Russie retrouve des réflexes de guerre froide. Ainsi, Vladimir Poutine a annoncé une augmentation des dépenses militaires et laissé entrevoir un contrôle prochain de la circulation des marchandises et des capitaux. Mais c'est sans doute la relance de la « guerre des étoiles » qui a présidé au retour d'une posture bipolaire. V. Poutine s'est en effet empressé d'annoncer que la Douma, après avoir longtemps tergiversé, ratifierait rapidement le traité Start II sur la réduction des armements stratégiques... afin d'avoir des arguments à opposer aux Américains au moment où ces derniers s'apprêtent à modifier unilatéralement le traité antimissile de 1972. On le voit, les dirigeants russes, formés à l'école de la guerre froide, retrouvent vite les manières d'antan, quitte à oublier que la Fédération n'est pour l'heure qu'un État parmi d'autres, inséré dans un système international gravitant autour des États-Unis.

P. F.

Poutine, un vrai « guébiste » ?

Celui qui assure l'intérim depuis la démission de Boris Eltsine n'a jamais caché l'admiration qu'il porte à l'endroit d'Andropov, son ancien patron du KGB, mort quelques mois après avoir accédé au pouvoir. Cette filiation revendiquée n'est pas sans susciter quelques interrogations en Occident. Quelle Russie ce « guébiste », mélange de policier politique et d'agent secret, veut-il construire ? On peut se rassurer en rappelant que V. Poutine a aussi été l'éminence grise du « libéral » Anatoli Sobtchak à Leningrad.