Si « la Chine s'est éveillée », les forces centrifuges – que l'utopie totalitaire de Mao avait maintenues sous l'éteignoir – sont entrées dans une phase active : fragmentation des couches dirigeantes du « capitalisme rouge » en clientèles concurrentes et dérive en îlots de prospérité semi-indépendants des régions côtières – l'une et l'autre creusant chaque jour un peu plus les inégalités. Deng Xiaoping lègue à son successeur un pays qui s'affranchit insensiblement du joug d'un centre fort. À la recherche d'une nouvelle légitimité, le régime de Pékin semble opter pour un syncrétisme doctrinal alimenté par une double tradition : d'une part, le confucianisme, réhabilité à petites doses, de l'autre, le nationalisme aux manifestations de plus en plus bruyantes. Un nationalisme qui offre aussi quelques commodités en matière de politique intérieure.

Des défis explosifs

Face à l'impérieuse nécessité de s'attaquer à la réforme du secteur industriel public, le régime de Pékin se trouve confronté à un véritable casse-tête dont on perçoit mal le caractère social explosif, masqué par la bonne tenue de la croissance. Pourtant, il est clair qu'une véritable campagne d'assainissement laisserait sur le carreau plusieurs dizaines de millions de sans-emploi. Les autorités ont pu vérifier que le terrain était miné quand elles ont essayé de réactiver une loi sur les faillites vieille d'une dizaine d'années et qui n'a été appliquée que dans des cas dits « expérimentaux ». Des grèves se sont produites dans plusieurs grands centres industriels, notamment dans le nord-est du pays et en Mandchourie. À bien des égards, la réforme du secteur public apparaît comme le dossier crucial de l'après-Deng.

Sur le plan extérieur, le partenariat de sécurité conclu en 1996 entre le Japon et les États-Unis a conditionné le cours de la diplomatie chinoise, suscitant un « raidissement » à Pékin dont l'effet immédiat aura été une normalisation des relations avec Moscou. Parallèlement, la Chine s'est engagée sur la voie d'un autre « rapprochement historique », cette fois avec l'Inde. Tout en se rapprochant de New Delhi, la Chine conserve des liens forts avec le Pakistan, auquel elle fournit des missiles M-11, voire de l'armement nucléaire. La tentation de l'hégémonie constitue un danger perçu comme tel par l'Occident. Pourtant, tout indique que l'on est décidé, de ce côté du monde, à s'en accommoder.

P.F.

La Chine et la Russie

La Chine n'est plus ce pays faible et pauvre que l'URSS guidait sur la voie de l'avenir radieux du communisme. Contrairement à la Russie, la Chine détient la capacité de projeter une puissance réelle, économique et militaire, au-delà de ses frontières. Une réalité que l'on prend au sérieux à Moscou, car, derrière les proclamations d'amitié, les conflits ancestraux et les données stratégiques sont loin d'être oubliés. Ainsi de la pression démographique et économique chinoise, qui pourrait gagner les républiques nouvellement indépendantes d'Asie centrale situées à la frontière de la Chine. À cet égard, les troubles et la répression conduite au premier trimestre de 1997 par les Chinois contre les Ouïgours turcophones du Xinjiang ont été suivis avec la plus grande attention par Moscou.

Télécoms : la fin des monopoles

L'accord mondial sur l'ouverture totale à la concurrence, à compter du 1er janvier 1998, des marchés de services de télécommunications, conclu par soixante-huit pays le 15 février 1997 à Genève dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), marque la fin de l'ère des monopoles, le plus souvent publics, dans un secteur économique considérable (3 820 milliards de francs de chiffre d'affaires) et aussi le plus dynamique (une croissance annuelle de 10 % ces dernières années). Avec cet accord, les opérateurs du monde entier, confrontés à une situation nouvelle – celle d'une concurrence accrue –, n'ont pas d'autre solution que de rechercher une plus grande rentabilité.

Avec l'accord du 15 février 1997, n'importe quel exploitant téléphonique devrait pouvoir d'une part proposer ses services dans des pays autres que son pays d'origine et, d'autre part, acquérir une participation majoritaire (sauf dérogation) dans le capital de ses homologues étrangers, sans que les autorités des pays concernés puissent opposer leur veto. Le temps passé à négocier l'accord (3 ans) a montré l'importance des enjeux pour les signataires. Les opérateurs nationaux (surtout européens) se doivent d'accepter que leurs marchés soient ouverts à la concurrence au moment où ils ne le sont qu'à hauteur de 17 % avant la signature de l'accord. Ces opérateurs peuvent difficilement refuser, car il s'agit d'un mouvement de fond qui a débuté aux États-Unis à la fin des années 1970, sous la pression des grandes entreprises consommatrices de services de télécommunications. En 1984, les autorités américaines ont cédé en démantelant AT & T, groupe privé jouissant d'un monopole depuis les années 20. Les pays européens ont suivi cette déréglementation de façon très limitée en excluant notamment le service de base (le transport de la voix sur des réseaux filaires) pour ne pas perdre de recettes.

Des conséquences timides

La mise en concurrence des opérateurs européens a commencé à se traduire pour les usagers par des baisses de tarifs. Les négociateurs américains estiment que les prix des appels internationaux devraient baisser de 80 %, ce qui n'est pas encore le cas. L'accord de Genève ouvre une nouvelle ère qui devrait entraîner de profonds bouleversements. L'abolition des barrières sur les marchés mondiaux et la disparition ou la réduction des seuils imposés pour les prises de participation dans des compagnies nationales impliquent que celles-ci se préoccupent de pénétrer les marchés extérieurs. À cet effet, elles doivent envisager de s'allier entre elles, si elles veulent résister à la concurrence des grands groupes dominants.