Au reste, ce n'est pas seulement au niveau des mentalités que le sport reste indispensable, mais aussi pour le fonctionnement de la machine économique elle-même. D'abord, parce que autour du sport s'est greffée toute une industrie d'articles, de chaussures, de vêtements, d'équipements, de produits pharmaceutiques (déjà cités), d'infrastructures, de spectacles, dont le poids n'est pas négligeable, surtout en période de dépression économique – car cette industrie-là ne connaît pas la crise, et pour certains pays, comme la France, occupe des positions clefs à l'exportation (les skis notamment), ainsi qu'à l'importation (les raquettes de tennis). Ensuite et surtout parce que le sport, par le sponsoring, a contribué à la transformation du fonctionnement du système économique dans son ensemble, tout en véhiculant sur ce seul chapitre mécénal des sommes de plus en plus considérables : près de 2 milliards de dollars par an aux États-Unis, presque autant en Europe de l'Ouest, 1,5 à 2 milliards de francs en France.

Les progrès du dopage

Le dopage des athlètes a joué un grand rôle dans la compétition sportive, notamment en athlétisme, jusqu'à ce qu'il soit interdit et de plus en plus minutieusement pourchassé. De leur côté, les produits dopants et les techniques pour en dissimuler l'emploi se sont constamment affinés.

Un contrôle à l'étape de Villard-de-Lans pendant le Tour de France avait indiqué que le futur vainqueur de la grande épreuve, Pedro Delgado, avait absorbé de la probénécide, substance qui peut masquer l'utilisation des anabolisants Mais la probénécide n «était pas (ou pas encore) interdite par l'Union cycliste internationale. Delgado a pu poursuivre jusqu'à son terme sa course victorieuse.

Aux jeux Olympiques, les experts ont constaté depuis 1968, et au fur et à mesure que les contrôles se faisaient plus sévères, que les records du monde dans certaines disciplines comme le poids, le disque ou le javelot étaient moins nombreux. La recherche de la performance à tout prix n'en conduit pas moins certains athlètes et leurs entraîneurs à renforcer leurs forces physiques par le dopage.

Dans les compétitions internationales d'athlétisme de 1986 et 1987, vingt-deux cas de dopage ont été décelés.

Le 24 septembre 1988, aux Jeux de Séoul, le coureur canadien Ben Johnson, qui vient de remporter le record olympique du 100 mètres en 9″ 79, se présente au contrôle. L'analyse révèle la présence de Stanozonol, un stéroïde anabolisant. Après une contre-expertise positive, le Comité international olympique le disqualifie. Il lui est interdit de participer pendant deux ans au moins aux compétitions nationales et internationales. « Tout le monde, déclare M. Juan Antonio Samaranch, président du CIO, saura que l'on ne peut se doper impunément aux jeux Olympiques. » Mais la lutte entre les chimistes et les contrôleurs est loin d'être terminée.

Le corps et le capital

L'historien du capitalisme ne devrait pas en être surpris outre mesure. Quel est en effet le moteur du capitalisme ? Comme son nom l'indique, c'est l'accumulation du capital. Or celle-ci n'est possible et surtout ne peut être renouvelée que par une transformation progressive de toute transaction sociale imaginable en une transaction de marché. Cela commence par la marchandisation du temps – qui dans la plupart des religions n'appartient qu'à Dieu – par le taux d'intérêt, et cela ne finit jamais. Peut-être le xxe siècle restera-t-il dans l'histoire comme celui où la marchandisation a commencé à atteindre aussi bien l'âme – par la psychanalyse – que le corps – par le sponsoring (soit dit en passant, au vu des progrès de la procréation artificielle, il ne s'agit là que d'un début). Apparemment, le corps est un vecteur d'accumulation plus efficace que l'âme, et, tandis que la psychanalyse connaît une véritable crise économique, le sponsoring sportif, lui, est en plein essor.

Au demeurant, la marchandisation est un phénomène ambivalent. D'un côté, elle fait progresser le « front » des marchands en incluant de nouveaux territoires. Mais, de l'autre – et il s'agit là d'un phénomène fort méconnu –, elle crée ou recrée à l'« arrière » des zones non marchandes.