En janvier et février 1987, lors d'un précédent épisode qui avait fait plusieurs milliers de victimes, l'Iraq ne disposait pas encore d'engins capables d'atteindre Téhéran, à 500 kilomètres de la frontière, alors que Bagdad se trouve à une centaine de kilomètres du territoire iranien. Cette fois, ils envoient des chapelets de missiles sur Téhéran et sur les autres villes de l'Iran, alors que les Iraniens ne peuvent se permettre que des ripostes limitées. L'effet psychologique sur les habitants de Téhéran est désastreux. Fin mars, ceux-ci désertent en masse la capitale.

Sur les fronts terrestres, la situation demeure presque inchangée depuis février 1987, date à laquelle les Iraniens, au prix d'immenses sacrifices – ils auraient eu plus de 70 000 morts – avaient conquis le saillant de Chalamcheh, au nord-est de Bassorah, au cours de l'opération Kerbala-5. Cette victoire à la Pyrrhus est demeurée sans suites et la « grande offensive finale », depuis lors périodiquement annoncée pour en finir une fois pour toutes avec le régime de Saddam Husayn, est devenue un mirage. Les seuls succès remportés par les Gardiens de la Révolution (les Pasdarans) se situent au Kurdistan iraquien. Au cours d'une opération-éclair baptisée Aurore-10, les Iraniens, alliés aux pechmergas (combattants kurdes), s'emparent vers la mi-mars des deux villes frontalières kurdes de Halabja et de Khormal. Les Iraquiens ripostent en bombardant la région de Halabja à l'arme chimique et font plusieurs milliers de victimes parmi la population civile kurde. C'est la première fois dans l'histoire qu'un État bombarde au gaz ses propres ressortissants. Jusqu'alors, les Iraquiens n'avaient utilisé cette arme que contre les forces armées iraniennes.

Tandis que Téhéran réclame une condamnation formelle de Bagdad, l'Iraq reconnaît implicitement avoir eu recours aux armes chimiques et réaffirme solennellement son « droit, ainsi que sa détermination, à utiliser tous les moyens à sa disposition pour s'opposer à l'invasion iranienne ». Il est certain que l'emploi de ces armes a contribué à miner peu à peu le moral des combattants iraniens, dont la principale force était naguère l'esprit de sacrifice et le mépris de la mort. Les Gardiens de la Révolution et les bassidji (volontaires) ne paraissent plus disposés à mourir pour gagner une guerre qui ne peut plus l'être et qui est en train de ruiner l'économie de l'Iran et de compromettre son avenir.

Une crise de confiance

La violente campagne électorale, qui a précédé les élections législatives d'avril et au cours de laquelle le clan des « radicaux » s'est opposé aux « conservateurs » de la droite religieuse traditionaliste, a suscité dans le pays et en particulier parmi les Pasdarans, « les purs et durs » du régime, une crise de confiance envers les dirigeants de Téhéran. Ces derniers sont accusés de se livrer à de vaines querelles personnelles en vue de la succession et de ne rien faire pour régler les problèmes beaucoup plus graves nés de la poursuite des hostilités.

La discipline commence à se relâcher et les Pasdarans mettent ouvertement en doute le caractère révolutionnaire et islamique du régime. Ils vont jusqu'à reprocher à certains membres du clergé de profiter de la guerre pour s'enrichir illégalement, voire de manquer de foi religieuse. Les multiples campagnes officielles pour l'enrôlement des volontaires, lancées à grand renfort de publicité, donnent peu de résultats et peu à peu les fronts se dégarnissent.

Assaillie de tous côtés, la république islamique n'est pratiquement plus capable de se défendre. Le 18 avril, les Iraquiens réoccupent avec une étonnante facilité la presqu'île de Fao, enlevée par les Iraniens après de très durs combats en février 1986. Cette défaite, la première subie par l'Iran sur les fronts terrestres depuis 1982, annonce une série de revers militaires : la perte de Fao est suivie, le 25 mai, par celle du saillant de Chalamcheh et, le 25 juin, par la reconquête des îles Majnoun. En trois mois, l'Iraq réussit à récupérer ses territoires perdus, à l'exception d'une partie du Kurdistan iraquien (voir carte).