La réplique israélienne se concrétisa par des pressions économiques et des tracasseries administratives. Les soldats multiplièrent les contrôles routiers. Les stations d'essence arabes furent privées d'approvisionnement, les liaisons téléphoniques avec l'étranger, temporairement coupées. La situation fiscale des résidents de Cisjordanie fut examinée de beaucoup plus près. Les autorités retournèrent contre les commerçants l'arme de la grève. Alors que les magasins n'ouvraient que trois heures chaque matin, l'armée obligea certains grévistes à garder en permanence portes closes.

Des tendances rivales

Cette lutte multiforme n'a pas, au bout d'un an, affaibli la détermination des Palestiniens, malgré leurs difficultés quotidiennes. L'offensive lancée par Itzhak Rabin contre les « comités populaires » qui animent le soulèvement n'a pas mis fin à la révolte. À cet égard, il semble que les centaines d'anciens détenus palestiniens, libérés en mai 1985 en échange de trois soldats israéliens capturés au Liban, aient joué un rôle discret mais décisif dans la poursuite de l'agitation. Pendant des mois, la direction de l'« intifada » parvint à maintenir son unité. Mais il est clair maintenant qu'elle se partage en plusieurs tendances rivales, autour d'un clivage essentiel : nationalistes laïcs d'une part, islamistes de l'autre.

Le soulèvement a révélé la montée en puissance, notamment à Gaza, des intégristes musulmans. En août, le groupe Hamas (mouvement de la résistance islamique) décida pour la première fois d'agir de manière autonome en lançant, seul, un appel à la grève générale en Cisjordanie. Le mot d'ordre constituait un défi ouvert à l'OLP, car la direction du soulèvement avait, quant à elle, appelé à la grève pour le lendemain. Il y eut des heurts entre « islamistes » et « laïcs ». En septembre, un second ordre de grève intégriste fut mieux suivi. Le conflit est éminemment politique : la grève du commerce indique « qui est le patron » dans la rue.

Longtemps cantonnés dans un travail de longue haleine de « réislamisation de la société palestinienne », les intégristes semblent avoir été pris de court par l'« intifada ». Partisans d'une Palestine islamique et hostiles à une solution politique du problème palestinien, ils cherchent à battre en brèche l'influence de l'OLP, qu'ils soupçonnent de vouloir reconnaître l'existence d'Israël. Conscients que les divisions au sein de l'« intifada » font surtout le jeu de l'État israélien, les sympathisants de l'OLP accusent ses services de manipuler les islamistes et estiment que l'influence de ces derniers est largement surestimée par les médias. Faute de sondages ou d'élections, la véritable force des intégristes musulmans reste difficile à évaluer.

Le mythe de l'occupation « en douceur »

La révolte des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza a fait voler plusieurs mythes en éclat, et d'abord celui, largement amplifié par la propagande israélienne, que l'occupation se passait « en douceur » dans un climat de relative tolérance. Il est vrai que son coût diplomatique, économique et militaire fut longtemps faible : 300 bureaucrates israéliens suffisaient à piloter l'administration territoriale et quelques centaines de soldats à maintenir l'ordre. En maniant la carotte et le bâton, en dialoguant avec les notables arabes modérés devenus des interlocuteurs privilégiés sans relâcher le quadrillage policier, Israël parvint pendant 20 ans à imposer un système de contrôle efficace de la société palestinienne. Cette réalité appartient définitivement au passé. Il ne peut plus exister, dans les territoires, d'occupation militaire « éclairée ».

L'« intifada » a ensuite permis aux Palestiniens de retrouver confiance en leur capacité de résistance et d'action. Beaucoup plus instruits, plus motivés et moins timorés que leurs pères, à qui ils reprochent parfois leurs compromissions d'antan, les jeunes Palestiniens ont la politique à fleur de peau. Ils ont une fois pour toutes – malgré et contre Israël – acquis l'identité nationale qui anime leur combat. Le mouvement souffre tout de même de quelques faiblesses. Outre ses divisions entre « laïcs » et intégristes, il ressent une certaine difficulté à traduire en termes politiques une mobilisation devenue routinière. Ses acteurs ont du mal à choisir des buts provisoires, des objectifs intermédiaires et à s'efforcer de les atteindre. Il n'empêche que les émeutiers adolescents, fiers de leur identité retrouvée, savent, plus ou moins confusément, que personne ne livrera à leur place les combats décisifs.