Panorama

Introduction

Dresser une rétrospective mondiale de l'année scientifique et technique est aujourd'hui une gageure. La presse se fait, jour après jour, l'écho d'une multitude de découvertes, d'inventions, de « premières », dont il n'est pas toujours aisé de mesurer la portée, mais qui semblent souvent marquer un réel progrès et ouvrir des perspectives très prometteuses. Serions-nous alors tentés par un excès de confiance dans les capacités de notre civilisation que l'actualité vient nous inciter à la plus grande modestie, en faisant brutalement apparaître les limites de notre savoir et de notre technologie. Le panorama scientifique et technique de 1988 illustre parfaitement cette dualité permanente de la nature humaine : la puissance et la fragilité.

Aux frontières de l'impossible

La puissance ? Elle se manifeste chaque fois que l'homme recule les frontières de l'impossible et démontre sa faculté d'adaptation en milieu hostile.

Ainsi, fin février, dans le cadre de l'opération Hydra VIII de la Comex (Compagnie maritime d'expertise), six plongeurs, au large de Cassis, parviennent à travailler dans l'eau à la profondeur record de 520 mètres, sous une pression de plus de 50 kg/cm2, après plusieurs jours passés à bord d'un caisson pressurisé, en respirant un mélange d'hydrogène, d'hélium et d'oxygène.

Du 12 août au 29 novembre, la jeune spéléologue Véronique Le Guen séjourne durant 109 jours à 82 mètres sous terre, sans aucun repère temporel, dans le gouffre du Valat-Nègre, près de Millau (Aveyron). Elle bat ainsi le record du monde de durée de vie sous terre. Mais, surtout, avec vingt et un capteurs branchés sur les paupières, le crâne, le front, le menton et les seins, une sonde rectale enregistrant en continu la température de son corps, l'exécution de tests de vigilance, de force dynamométrique et d'estimation de durée, sans oublier des prélèvements réguliers de salive, d'urine, de selles et de sang, elle a permis de recueillir une moisson de données scientifiques sans précédent. Leur dépouillement et leur interprétation prendront des mois, mais devraient contribuer au progrès de disciplines telles que la chronobiologie et la physiologie du sommeil.

Conquête des profondeurs, vie hors du temps, mais aussi adaptation à l'apesanteur... En 1987, le cosmonaute soviétique Youri Romanenko avait porté à 326 jours le record de durée d'un séjour dans l'espace. Ses compatriotes Vladimir Titov et Moussa Manarov améliorent à leur tour cette performance en regagnant la Terre, le 21 décembre, après 366 jours en orbite. La conquête de l'espace n'est plus un vain mot. Mais, si l'homme veut aller explorer Mars, il devra faire encore beaucoup mieux : le voyage aller et retour durera environ deux ans et demi.

Les audaces de la médecine

La puissance humaine ? Elle se manifeste également par toutes les audaces de la médecine. Le 23 mars, meurt le gynécologue britannique Patrick Steptoe, l'un des pères de la fécondation in vitro. On lui doit la naissance, le 25 juillet 1978, du premier « bébé-éprouvette », Louise Brown. Depuis, les expériences de procréation artificielle se sont multipliées. Rien qu'en France 17 000 tentatives de fécondation in vitro ont été enregistrées et plus de 1 500 bébés-éprouvette ont vu le jour. Le 5 décembre, à Grenoble, pour la première fois au monde, une femme ayant subi l'ablation des ovaires donne naissance à un enfant qui est biologiquement le sien : le bébé a été conçu in vitro avec les ovules de sa mère et le sperme de son père ; l'embryon obtenu, conservé pendant dix mois par congélation, a été ensuite introduit dans l'utérus de la mère. Si, dans ce cas précis, la technique utilisée représente un modèle et un espoir pour les femmes en danger de stérilité, les formidables pouvoirs dont l'homme dispose à présent sur l'embryon grâce aux progrès de la biologie posent des problèmes éthiques non encore résolus.

Les avancées de la technique

Signe de puissance encore : les avancées spectaculaires dans certains secteurs techniques de pointe. Ainsi, le progrès rapide des recherches sur la supraconductivité « à haute température » (voir Les promesses de la supraconductivité) pourrait être à l'origine d'une révolution dans le domaine des champs magnétiques intenses, en électrotechnique et en microélectronique. En matière de télécommunications, l'avenir est au réseau numérique à intégration de services (RNIS), un nouveau type de réseau permettant, grâce à sa numérisation, de véhiculer à très grande vitesse et simultanément toutes les formes d'information transitant actuellement sur des liaisons séparées : voix, images, documents graphiques, données informatiques. En 1988, débute, en France, la mise en place commerciale d'un RNIS : c'est une première mondiale. Dès 1990, l'ensemble du territoire national bénéficiera de ce nouveau support de communication.

Les maladies invaincues

Mais, en science comme en technologie, la voie du succès apparaît souvent balisée d'échecs. La lutte contre les maladies représente l'un des domaines dans lesquels la victoire peut rester longtemps incertaine. En 1988, des travaux américains, japonais et français apportent de sérieux espoirs de voir enfin élucidés les mystères de la myopathie de Duchenne, une grave affection héréditaire qui entraîne une détérioration progressive et mortelle des muscles. Cette dégénérescence musculaire serait liée à l'absence d'un gène localisé sur le chromosome sexuel X. Ce gène synthétise, en effet, une protéine, la dystrophine, qui semble essentielle au maintien d'une structure normale des fibres musculaires. La meilleure compréhension des phénomènes aboutissant aux lésions observées favorisera certainement la mise au point d'une thérapeutique.