Une hypothèse peut nous mettre sur la voie d'une interprétation. Pour développer l'éducation civique et morale de chacun et pour faire obstacle à l'anomie, terrain privilégié des fléaux sociaux, la société française, tout au long du xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle, se reposait essentiellement sur ces « directeurs de conscience » qu'étaient les prêtres, d'une part, les maîtres d'école, d'autre part, et sur la famille. Aujourd'hui, le grand médiateur c'est, parfois, la puissance publique et, toujours, les grands médias comme la télévision. C'est là le signe d'une profonde mutation dans la nature et le rôle des groupes intermédiaires et dans leur fonction de contrôle social. Tout se passe comme si l'individualisme croissant et son complément, le surinvestissement de la recherche du bonheur, engendraient une société plus dispersée, aux liens de solidarité plus ténus et plus incertains. Et l'État prend alors la figure du pouvoir dont la puissance tutélaire doit tout résoudre. Un État dont on attend essentiellement une action préventive, protectrice, médicale, et, à l'occasion, répressive. Comment ne pas évoquer ce qu'écrivait Tocqueville, précisément à propos du lien entre ce type d'individualisme refermé sur soi et la puissance publique : « Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres...

Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort... ; il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance... » (De la démocratie en Amérique.)

Il ne faut cependant pas tomber dans le défaut des prophètes de l'apocalypse. La société moderne ne devient pas un agrégat d'isolés que seuls relient les médias. La société ne devient pas « foule solitaire ». Simplement, les groupes qui la structurent sont désormais des groupes d'affinités provisoires, des groupes de mode ou des groupes d'intérêts contractuels. Ils ne sont pas producteurs de normes solides de conduite.

Il reste que, même si on en voit les limites, on ne saurait dispenser la puissance publique de ses tâches d'information et de protection sociale. C'est dans ce sens que le gouvernement, en l'occurrence sans rencontrer de véritable opposition politique, a décidé de consacrer, en 1987, 230 millions de francs à la lutte contre la toxicomanie et que le budget de 1988 reconduira cette disposition.

Contre l'internationale des marchands de drogues

À côté de l'information, se développe, à l'échelle de la coopération internationale, une lutte contre « l'économie de la drogue ». Car il est des pays producteurs de drogues dont c'est la seule richesse. On évalue leur chiffre d'affaires à 1 800 milliards de francs.

C'est ainsi qu'à Vienne, du 17 au 26 juin, dans le cadre institutionnel de l'ONU, eut lieu une assemblée extraordinaire réunissant des chefs d'État ou des ministres de 138 pays. L'URSS reconnaissait que « la calamité était en train de la gagner et qu'on dénombrait de plus en plus de toxicomanes parmi les jeunes et les militaires ». Déjà les États-Unis avaient proposé aux pays d'Amérique du Sud (Colombie, Bolivie, Pérou) de racheter leur production annuelle. L'effet pervers d'une telle mesure ne s'est pas fait attendre : la production a dépassé tous les records.

En plus des États producteurs d'Amérique du Sud, il faut prendre en compte le Triangle d'or (Birmanie, Laos, Thaïlande) et le Croissant d'or (Pakistan, Iran, Afghanistan) ; or, l'interdiction des cultures de plantes psychotropes mettrait en péril l'équilibre économique et politique de ces pays : on voit que l'entente entre pays consommateurs et producteurs n'est pas proche. Et les 32 milliards de dollars dont a disposé en 1987 le FNULAD (Fonds des Nations unies pour la lutte contre l'abus des drogues) n'ont pas enrayé le fléau.