La transgression est liée au sentiment que « la loi est vide », que « vie et mort se valent ». Et l'acte de transgression est un effort, en niant la loi, en la violant, de la faire vivre, comme le flirt mortifère est la recherche du sens de la vie.

L'insertion est évidente dans la mesure où se droguer c'est, au début, participer à un rite qui fait entrer dans un groupe (le « voyage » est souvent collectif, quand il commence) ou répondre à l'appel d'un modèle. On comprend que cet alliage fait de la drogue ce qu'on rencontre souvent dans ces moments où l'identité est incertaine et où l'être vacille de n'avoir point de réfèrent. D'autant que la drogue se consomme d'abord avec l'idée de la liberté puisqu'on commence par ces petites drogues qui « n'accrochent pas ». Mais qui incitent à goûter à celles qui accrochent.

Le chemin des écoliers de la drogue

En cette année 1987, les pouvoirs publics ont pris une conscience plus nette de ce que la lutte contre la toxicomanie était un problème qui impliquait information du citoyen et éducation civique, certes, mais aussi action médicale en faveur des drogués et action répressive modulée contre tout ce qui induit la consommation de stupéfiants. Le nœud de toutes ces actions se situe chez les jeunes, et d'abord dans le milieu scolaire. Il faut cependant se méfier des simplifications à sensation. L'essentiel de la population toxicomane ne se recrute pas dans les couloirs des collèges : la statistique établit que moins de 1 p. 100 des toxicomanes ont moins de 16 ans. Mais, quand on sait que, sur une population de 12 millions de moins de 25 ans, 2 millions et demi ont, comme on dit, « touché » à la drogue au moins une fois, on voit combien tout cela est complexe.

Il est indéniable que la drogue est entrée dans la vie scolaire, tant primaire que secondaire. C'est pourquoi ont été interdites à la vente des colles contenant des solvants toxiques. C'est pourquoi, dans la capitale, le maire a fait présenter dans diverses classes de CM2 (8-10 ans) un film d'information et d'éducation. Comme le dit le secrétaire d'État chargé de l'Enseignement : « Les enfants rencontrent rarement la drogue sur le lieu scolaire lui-même, mais à la sortie ! Par ailleurs, l'école étant un lieu par définition communautaire, les enfants s'entraînent mutuellement. »

C'est que, jeune, on est plus facilement incité à la consommation d'un produit dont on ne mesure pas les effets et qu'on est persuadé, avec l'illusion qu'on a de sa toute-puissance sur soi, qu'on saura toujours « arrêter ça » quand on le voudra. Et puis, il s'agit de faire comme les autres et ne pas être de ceux qui n'osent pas braver les tabous des adultes...

Le mécanisme est très bien décrit par le commissaire Gravet, de l'OCRTIS (Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants) : « En aucun cas, sauf exception, la première « rencontre » ne se fait dans les murs de l'établissement scolaire, pour des raisons évidentes, mais gare à l'environnement (cafés, etc.) et à la surenchère des enfants entre eux ! Il suffit d'une brebis galeuse pour qu'un établissement bascule. Ensuite le scénario est simple. Il faut de l'argent pour se procurer de la drogue. Et le meilleur moyen reste le trafic avec les copains. Mais, pour que le trafic existe, il faut que les copains se droguent, eux aussi. De là à les pousser à la consommation, il n'y a qu'un pas vite franchi. » (Interview de l'Express, 11 septembre 1987.)

Cette intrusion des stupéfiants dans le milieu scolaire, quelle qu'en soit l'ampleur, est indicatrice des transformations profondes de la société. Pourquoi un lycéen, voire un écolier se laissent-ils tenter par les paradis artificiels au point, par exemple, de les chercher dans les solvants, ces toxiques contenus dans l'essence, dans certaines colles, dans les détachants et qui sont en tête du hit-parade des drogues chez les moins de quinze ans ?

Doit-on imputer la cause de cette situation au déséquilibre du milieu affectif naturel des jeunes, la famille, et faire du désir de stupéfiants une réponse à l'abandon ? Doit-on voir un effet de la médicalisation à outrance au plus jeune âge puisqu'il semble que, selon certains spécialistes, les enfants auxquels on a eu l'habitude de donner des calmants ou des analgésiques auraient un système nerveux fragilisé et qu'on trouverait chez les jeunes drogués énormément d'enfants surmédicalisés ? Faut-il chercher du côté de la négligence des parents ou de la transformation de l'école dont les emplois du temps, souvent troués, laissent les élèves libres et sans qu'ils soient insérés dans une institution devenue lieu plus ouvert et moins sacralisé ? Tous ces facteurs jouent certainement un rôle mais ne constituent pas, même rassemblés, un système d'explication convaincant.