Cette année 1987 aura aussi marqué une nouvelle étape dans la peur de l'intégrisme musulman, avec l'escalade de la guerre dans le golfe Persique. Au hit-parade des nations susceptibles de déclencher un conflit mondial, l'Iran a remplacé l'URSS. À l'intérieur, il est clair que cette crainte nourrit l'agressivité d'un certain nombre de Français vis-à-vis des immigrés de confession islamique. Le fonds de commerce du Front national s'en trouve valorisé.

Il faut aussi mentionner la réapparition dans la population française d'un sentiment écologiste qui s'était beaucoup émoussé après la « vague verte » des années 70. La catastrophe de Tchernobyl, en avril 1986, avait déjà démontré l'insuffisance des systèmes de sécurité et accru la méfiance des citoyens vis-à-vis de déclarations officielles un peu trop lénifiantes. Après la pollution du Rhin, celle de certains fleuves français apparaît de plus en plus préoccupante. La destruction des forêts par la pollution automobile, le déchirement de la couche d'ozone par les aérosols sont des phénomènes qui ne concernent plus seulement la communauté scientifique, mais une fraction croissante de l'opinion publique.

Il s'ajoute à ces craintes celles qui sont liées à l'utilisation des techniques de la génétique et de la biotechnologie. L'insémination artificielle, les transferts d'embryons, la fécondation in-vitro, les « manipulations » génétiques montrent la nécessité (et la difficulté) d'une réflexion sur la bioéthique. On a vu d'ailleurs se multiplier les « commissions de sages » chargées par le gouvernement de réfléchir sur les questions de toutes sortes qui engagent l'avenir du pays : code de la nationalité, avenir de l'université, financement de la Sécurité sociale, etc. Il s'agit en règle générale de combler les « trous » juridiques, moraux, philosophiques, politiques, voire financiers dans le cas de la Sécurité sociale.

1987 aura vu la confirmation et la prise de conscience d'autres fléaux. C'est le cas de la drogue, qui pénètre dans des milieux et dans des lieux nouveaux comme l'écrit André Akoun, dans le dossier consacré à la Drogue, maladie sociale. C'est le cas aussi de l'alcool ou du tabac, dont les Français savent désormais qu'ils ne participent pas à la qualité de la vie mais à son raccourcissement. C'est le cas surtout du Sida, dont on commence à mesurer l'ampleur, en France comme dans d'autres pays.

Curieusement, la peur du Sida semble en faire reculer une autre : celle liée au déséquilibre démographique mondial. Dans un monde qui compte 5 milliards d'hommes évoqué par Michel-Louis Lévy, les ravages actuels et surtout à venir du Sida sont parfois ressentis comme une forme de régulation organisée par quelque puissance, divine ou satanes que selon les opinions. Les historiens nous rappellent que la peste avait décimé au fil des siècles une partie des populations, avant de permettre une nouvelle croissance économique pour les survivants. Des « moralistes » soulignent perfidement que les personnes menacées par le Sida sont principalement les homosexuels, les drogués et les partenaires infidèles...

Il faudrait encore ajouter à cet inventaire des catastrophes et menaces les effets du krach financier du dernier trimestre 1987. Le premier d'entre eux, et le plus grave, est psychologique : dans la foulée des privatisations qui avaient amené à la Bourse plusieurs millions de Français, le choc a été rude. Il ne faudra plus compter avec ceux qui ont vu s'envoler la moitié de leurs économies pour investir dans l'entreprise. Si quelque chose s'est cassé dans la mécanique financière et monétaire internationale, c'est avant tout la confiance des individus à son égard. Il avait fallu des années aux Français pour trouver le chemin de la Bourse et afficher une certaine décontraction envers l'argent. Il ne leur a fallu que quelques jours pour revenir à leurs craintes séculaires en ce domaine.

L'année des affaires

L'influence de la politique sur le climat social aura été franchement néfaste en 1987. En cette année préélectorale, les Français ont été plus que jamais agacés et frustrés par l'attitude des partis et des hommes qui sont à leur tête, de quelque bord qu'ils soient. La cohabitation, qui avait rapidement montré ses limites, a aussi montré ses dangers. La trop courte majorité, la volonté de ne pas prendre de décision impopulaire, la crainte des réactions de l'opposition ou de l'opinion publique ont contraint le gouvernement à quelques reculades ou reports : code de la nationalité, réforme scolaire et universitaire, grille de salaires des cheminots, chèques payants, etc.